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avait rendu particulièrement douloureux, il arrivait à Memel, dans les États prussiens où il devait attendre la réponse de Caraman. Durant le séjour de trois semaines qu’il y fit, il écrivit de tous côtés pour faire connaître sa nouvelle infortune, que vint au bout de quelques jours rendre plus affreuse la brusque apparition de ses gardes du corps et des Français résidant à Mitau, chassés après son départ comme il l’avait été lui-même. Il ignorait encore ce dernier acte de la tragédie dont il était le principal acteur, lorsque, le 28, il en envoyait au Comte d’Artois, déjà prévenu par des lettres précédentes, un récit complémentaire :

« Le courage peut faire supporter la peine, lui disait-il, mais n’empêche pas de la sentir. Aussi la mienne a-t-elle été vive. Mais la Providence m’a ménagé des consolations que votre cœur partagera. La première et la meilleure de toutes est venue de notre adorable fille qui consacre aux larmes et à la retraite le jour de la mort de ses parens et qui, le 21, m’a demandé comme une grâce de venir me voir. Vous ne serez pas étonné que mes yeux, secs jusque-là, aient alors versé des larmes, mais bien douces. Ensuite, j’ai reçu les marques les plus touchantes d’attachement non seulement de ceux de mes pauvres Français que je suis obligé de laisser derrière moi, sans savoir où et quand nous pourrons nous rejoindre, mais aussi du général Fersen, de M. d’Arsénieff, gouverneur de Courlande, de la noblesse courlandaise en général et même du peuple. Il me faudrait un volume pour en écrire l’intéressant détail. »

L’hommage rendu ici à la Duchesse d’Angoulême se retrouve dans toutes les lettres du Roi. Il s’y mêle en même temps, en dépit de l’odieux traitement qu’il a subi, un regain de gratitude pour le Tsar devenu aujourd’hui son persécuteur, car il ne saurait oublier qu’il lui doit le mariage de ses enfans. Tel est le caractère de la lettre qu’il adresse au prince de Condé :

« Ma situation est pénible sans doute. Mais pourrais-je m’en affliger ou même la sentir, quand je songe à celle de ma nièce qui, nouvelle Antigone, se dévoue à partager mon triste sort, qui bien plus admirable ici qu’elle ne le fut au Temple, puisque les devoirs sont bien loin d’être les mêmes, ne s’occupe que de moi et soutient ses propres peines avec un courage, une égalité d’humeur qui me les feraient, s’il était possible, oublier à moi-même ?