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se faire tort. Il a des mots rudes, familiers, mais qui ne le compromettent jamais. Il laisse voir une assez grosse vanité, mais une vanité bon enfant qui se tourne elle-même en plaisanterie. Exemple : « Sir Henry Campbell Bannerman est un homme plein de discernement : la preuve, c’est qu’il m’a choisi. » Cela a l’air d’une plaisanterie sans importance, mais cela lui permet d’escamoter l’éloge du premier ministre qui serait peut-être embarrassant devant un auditoire aux opinions très avancées. Avec un grand air de bon sens et de franchise, il sait glisser des restrictions adroites qui lui ménagent une retraite en cas de besoin. Par exemple : « Dès que ce sera possible, aussitôt que les circonstances le permettront. » Évidemment le peuple est prodigieusement flatté de voir un ouvrier ministre. Burns aura sa lune de miel d’homme d’État, mais un jour viendra peut-être où on le traitera d’ambitieux et de vendu.

Maintenant qu’il est ministre, se fera-t-il faire un habit noir ? J’ai entendu discuter ce problème très gaiement. Il paraît que l’habit noir est le symbole visible de l’infâme capitale qui nous gouverne. John Burns a résisté jusqu’ici à l’obligation de l’habit noir, et ce petit détail révèle un côté enfantin de cette intelligence, d’ailleurs largement ouverte. Certes, l’étiquette est chose puérile ; mais la discuter, se révolter contre elle est chose plus puérile encore. La première fois que j’ai lu l’anecdote de Roland se rendant aux Tuileries avec des souliers sans boucles, lorsqu’il fut nommé ministre de Louis XVI, et le désespoir du maître des cérémonies, je ne savais sur qui je devais d’abord m’apitoyer, sur le fonctionnaire de cour qui voyait toute la Révolution dans une boucle absente ou sur le ministre qui inscrivait ses opinions sur ses chaussures.

La vraie question est celle-ci : John Burns se laissera-t-il embourgeoiser par ses fonctions et par son nouveau milieu ? Aura-t-il le courage de faire un ouvrier du petit garçon qui l’accompagnait hier sur l’estrade ?

29 décembre. — Deux importans discours : l’un du vétéran radical sir Henry Fowler, l’autre de M. Lloyd George, le plus jeune membre du cabinet. Le premier insiste sur les extravagances financières du gouvernement tory, sur les six milliards de la guerre du Transvaal et sur les quinze cents millions ajoutés au budget annuel depuis dix ans. L’armée et la marine coûtent le double de ce qu’elles coûtaient en 1895 et, cependant, le com-