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Les autres figures originales du nouveau ministère sont M. John Burns, le député ouvrier de Battersee, qui prend les fonctions de President of the local Government board ; M. Lloyd George, jeune orateur de talent qui représente trois idées différentes, l’indépendance religieuse du pays de Galles, la réforme scolaire et le maintien intégral de la politique libre-échangiste ; enfin, M. Winston Churchill, le fils de lord Randolph Churchill, dont les aventures, dans l’Afrique du Sud, au temps de la guerre, ont rempli tous les journaux. Après avoir débuté au Parlement dans les rangs des conservateurs, il s’est brouillé avec ses amis sur la question de la réforme militaire et de la politique fiscale. Il s’est échappé du parti tory comme il s’est échappé de sa prison de Pretoria, sans être blessé ni repris. Le parti libéral l’a adopté et il est, à trente et un ans, un de ses orateurs les plus écoutés.

Les journaux radicaux se déclarent enchantés. « Depuis longtemps, disent-ils, on n’avait vu un ministère aussi fort, aussi riche en talens. » Nous verrons. Ce qui est certain, c’est que c’est le cabinet le plus nombreux qu’on ait encore vu en Angleterre. Dix-neuf membres ont le droit de siéger dans le Conseil ; quant aux personnages qui occupent des positions subordonnées, je n’entreprends pas de les compter : il doit y en avoir cinquante ou soixante, dont les traitemens varient de six cents à sept mille livres. Heureux pays où un changement de ministère peut satisfaire tant d’ambitions à la fois !

Ce même soir, lord Rosebery présidait, à l’hôtel Métropole, le Comité de la Liberal League. Il a maintenu et expliqué son discours de Bodmin. Il n’a pas cru, dit-il, un instant, nul homme de bon sens ne peut croire que sir Henry Campbell Bannerman ait l’intention de proposer une loi pour l’établissement d’un parlement irlandais à Dublin. Une telle idée ne pourrait naître et être acceptée que dans un établissement d’aliénés. D’ailleurs cette entreprise rencontrerait deux obstacles insurmontables. Lord Rosebery ne dit pas lesquels, mais tout le monde devine : la Chambre des lords, le Roi. Non, le président de la Liberal League ne craint pas un parlement irlandais à Dublin, mais il craint un parlement irlandais à Westminster, c’est-à-dire un parlement anglais inféodé au parti irlandais, un gouvernement qui n’oserait lever un doigt ni prononcer une parole sans la permission de M. Redmond.