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la route aux produits inférieurs et à bon marché qui vous inondent tandis que vos propres produits se heurtent contre des tarifs onéreux. » Or, en quoi consistent ces marchandises étrangères qu’il faut arrêter au passage ? Ce sont des substances alimentaires ou des matières premières. Si l’on impose les matières premières, la féodalité industrielle va crier. Donc, les tarifs à établir porteront sur les substances alimentaires. Alors c’est la nourriture du pauvre que l’on taxe ; c’est le pain, qui ne supportait plus aucun impôt depuis soixante ans ; c’est le sucre, le thé, affranchis par M. Gladstone il y a trente ans. Là-dessus, la foule s’ameute. On a beau lui dire, sans pouvoir le prouver du reste, que les salaires monteront et que les loyers baisseront : elle n’entend plus rien. Son opinion est faite, son parti est pris. D’ailleurs, un fait indéniable, qui se produit plusieurs années de suite, donne un démenti écrasant à la thèse qui sert de point de départ à toute cette campagne protectionniste. Si le commerce est menacé, si l’industrie souffre, si la ruine est proche, comment se fait-il que chaque exercice financier se solde par de magnifiques plus-values ? Comment se fait-il que le bilan de fin d’année des importations et des exportations dépasse d’un quart, ou même d’un tiers, les totaux des temps les plus prospères ?

Pendant que le parti tory se désagrège, le parti libéral, formé de quatre ou cinq groupes mal d’accord entre eux, recompose son unité, attire de nouvelles recrues et rallie les dissidens. Brillante rentrée en scène de lord Rosebery, qui boudait depuis plusieurs années (heureuse bouderie qui nous a valu une belle œuvre dont la France profite autant que l’Angleterre !). Sous ses auspices, sous sa présidence, se forme la Liberal League où s’enrégimentent les libéraux impérialistes qui ne veulent pas du Home-rule irlandais. Il a autour de lui des hommes de valeur, sir Edward Grey, M. Asquith, M. Haldane, sir Henry Fowler. Cette organisation, qui s’étend rapidement dans le pays, forme un second parti libéral prêt à collaborer avec le premier, à le devancer quelquefois et, peut-être, à l’absorber. Les choses se traînent ainsi pendant trois ans. Un beau jour, — ou plutôt un vilain soir, — de l’été dernier, sur une question de détail qui intéresse le budget irlandais, M. Balfour est mis en minorité dans la Chambre des communes. Se retirera-t-il ? Non, car ce n’est qu’un vote de surprise. Sa majorité, quoique réduite, compte