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les esprits. Le parti conservateur, du coup, s’est divisé en trois, je pourrais même dire en quatre. Les uns ont accepté l’idée de M. Chamberlain dans toute sa rigueur, les autres se ralliaient à une solution modérée qui eût donné satisfaction, pensaient-ils, à tous les intérêts. Un certain nombre d’unionistes, jugeant que la question du libre-échange primait toutes les autres, ont passé avec armes et bagages au parti libéral.

Quelques-uns se sont obstinés à demeurer dans les rangs conservateurs, tout en combattant la réforme fiscale avec la dernière énergie. Alors le ministère s’est disloqué. Pendant que M. Ritchie, chancelier de l’Échiquier, sortait du cabinet par une porte pour ne pas siéger avec des protectionnistes, M. Chamberlain, ministre des Colonies, se retirait par l’autre porte pour ne pas subir des collègues libre-échangistes.

Quant à M. Balfour, chef officiel de la majorité et du ministère, il se réfugiait dans le doute méthodique et raisonné, dans le : « Que sais-je ? » de Montaigne. Il étudiait, il cherchait, non pas « en gémissant, » comme le chrétien de Pascal, mais en continuant à gouverner le pays. C’est une attitude fort sage et un état d’âme qui convient admirablement à un simple citoyen ; mais, quand on conduit une grande nation, on est tenu de savoir où l’on va. Que penserions-nous d’un général d’armée qui demanderait son chemin aux passans ? On ne pouvait deviner s’il était protectionniste avec un grain de libre-échangisme ou libre-échangiste avec un soupçon de protectionnisme. Tandis que M. Chamberlain parlait hardiment de droits préférentiels, M. Balfour avait adopté le mot de « représailles. »

Ces hésitations lui ont l’ait du tort. Presque toutes les élections partielles ont été des défaites pour son parti. Le pays, déjà remué par l’impopularité de la loi scolaire, s’émouvait dans ses profondeurs lorsqu’il était question de tourner le dos à une politique économique qui a fait la fortune de l’Angleterre pendant un demi-siècle. Pour les gens qui raisonnent, c’était, à tout le moins, a leap in the dark, un saut dans les ténèbres, car nul ne pouvait dire ce qui résulterait d’un tel changement. Mais voici comment la question se posait et se posera aux élections prochaines pour la multitude. Les uns disaient : « Votre industrie souffre, votre commerce est menacé ; vos rivaux (c’est-à-dire les Allemands) vous chassent de tous les marchés, y compris le marché anglais. C’est la ruine qui s’approche. Que faire ? Barrer