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étrangères, prenait volontiers sous sa protection les membres de l’Ecole d’Athènes qu’il avait déjà connus et appréciés en Grèce. Beulé, dans tout l’éclat de sa jeune renommée, n’abandonnait pas ses anciens camarades et faisait valoir habilement leurs titres. Enfin le bonheur voulut que le ministre de l’Instruction publique, quoique assez étranger aux choses de l’Université, eût du moins l’esprit large et libéral. C’était M. Rouland. Je lui avais été signalé comme un peu suspect. Je n’écrivais pas dans la Revue contemporaine, organe du gouvernement. J’appartenais au contraire à la Revue libérale, fondée par l’éditeur Charpentier, à laquelle un certain nombre de rédacteurs et particulièrement Taxile Delord, Lanfrey et Ulbach donnaient une couleur d’opposition. Enfin, mes relations étroites avec les opposans de Lorraine et le comte d’Haussonville ne me désignaient pas comme un ami du gouvernement. J’éprouvais donc quelque inquiétude lorsque, le 16 février 4861, M. Rouland me fit venir dans son cabinet. Je ne le connaissais pas, je me demandais quel accueil j’allais recevoir. Mais je fus tout de suite rassuré par le ton paternel qu’il prit avec moi. « Vous avez de mauvaises relations, vous m’êtes désigné comme fréquentant beaucoup le monde orléaniste. Mais c’est là une question d’ordre privé dans laquelle je ne veux pas entrer. On ne vous reproche aucune incorrection ; je n’ai donc à m’occuper que de votre enseignement. Vous avez réussi à Nancy, je ne vous demande que de réussir également à la Sorbonne où je vous appelle. »

La largeur d’esprit d’un ministre, qualité rare en tout temps et dont je n’ai pas connu beaucoup d’autres exemples, m’ouvrait ainsi la porte de la maison. Mais comment y serais-je accueilli ? La Faculté des lettres de Paris, grande dame un peu susceptible, peuplée de membres de l’Institut, verrait-elle avec plaisir que le ministre désignât en quelque sorte lui-même le successeur d’Arnould sans qu’elle eût été consultée ? N’y avait-il pas là de quoi lui porter ombrage ? Si la Faculté avait eu un candidat de marque sur lequel tout le monde fût tombé d’accord, l’objection eût été fondée. Mais au fond, elle ne tenait à personne. J’y comptais d’ailleurs des amis personnels, notamment MM. Wallon, Adolphe Garnier, Guigniaut, Patin, qui ne manquaient pas de plaider ma cause. Après tout, la chaire n’était pas déclarée vacante, je n’étais que chargé de cours. Les droits de la Faculté demeuraient réservés. Lorsqu’il s’agirait de