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normale supérieure. Si cet enseignement lui eût été confié à la Faculté de Nancy, il aurait peut-être écrit cette histoire de la comédie grecque à laquelle il songeait en partant pour la Grèce et vers laquelle sa pensée se reportait de temps en temps. La distribution des chaires ayant été faite autrement, il se consacra à l’étude de notre littérature dont il parcourut le cycle entier à deux reprises différentes. C’était un excellent homme, au cœur chaud, à l’imagination ardente. Son exubérance même, qui eût été un défaut dans une œuvre écrite où la précision est de rigueur, devenait presque une qualité dans une œuvre parlée où il importe avant tout d’émouvoir et d’entraîner les esprits. La parole abondante et enflammée du doyen attirait et retenait la foule à son cours. Les femmes y trouvaient un grand charme, sans que la mère de famille pût concevoir la moindre inquiétude, tant les sujets étaient bien choisis et traités d’une main délicate.

Le professeur d’histoire de la Faculté de Nancy, Louis Lacroix, appartenait, comme Benoît, à la première promotion de l’École d’Athènes. Il avait même été le plus voyageur des Athéniens, puisqu’il avait poussé ses explorations jusqu’en Égypte. Au moment où il fut nommé à Nancy, il ne lui restait presque plus rien de cette humeur vagabonde. Il faisait son cours sagement, posément, avec une érudition de bon aloi, sans aucune envolée poétique. Il laissait la poésie à Benoît, il se contentait de la prose, mais il y mêlait une forte dose de gaillardise. Quoiqu’il fût très pieux et qu’il fît même des professions de foi ultramontaines, sa religion n’avait rien de farouche. Il l’égayait volontiers par quelques-unes de ces plaisanteries grasses que se permettent quelquefois les ecclésiastiques. Son cours d’histoire n’aurait pas détonné, n’aurait pas été déplacé dans une maison religieuse. Il ramenait tous les événemens à la doctrine de Bossuet dans l’Histoire universelle, à une intervention constante de la Providence dans les affaires humaines. Un prêtre n’aurait pas autrement parlé. Rien n’indique mieux que l’existence, la durée et le succès de ce cours quel était alors l’esprit libéral de l’Université. Non seulement elle tolérait que M. Louis Lacroix donnât dans son sein un enseignement analogue à celui de Louis Veuillot, mais elle ne lui en savait aucun mauvais gré. Lorsqu’il s’agit plus tard d’une suppléance à la Faculté des lettres de Paris, Louis Lacroix fut désigné par M. Wallon et adopté par tous ses collègues.