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moins le charme et l’agrément de la conférence. D’anciens militaires, d’anciens magistrats, des fonctionnaires en activité de service, des gens du monde préféraient une leçon bien faite à une partie de cartes ou de billard.

Nancy était du reste tout préparé à recevoir le cadeau que lui faisait la destinée. Il y régnait une certaine curiosité littéraire, l’Académie de Stanislas y groupait des hommes de mérite. Dans quelques salons, la conversation prenait volontiers un tour spirituel et délicat. On y retrouvait quelque chose de l’ancienne capitale de la Lorraine, une politesse aisée et aimable. L’homme qui y donnait le ton, le baron Guerrier de Dumast, servait de lien naturel, comme de trait d’union entre les différentes parties de la société. Une honorabilité incontestée, une situation de fortune bien assise, une ancienneté de race bien établie, et, avec cela, l’esprit le plus moderne, la plus complète absence de préjugés et de morgue ; une indulgence toute prête pour les hardiesses de la pensée, un fonds d’optimisme imperturbable : il n’en fallait pas davantage pour assurer à celui qui possédait tant de qualités réunies une sorte de royauté locale. Un mot de lui ouvrait toutes les portes. Ce qu’il y avait chez lui de plus admirable, c’était la jeunesse de l’esprit et des sentimens. Aucune trace de distraction, de froideur, d’indifférence. Tout entier à l’œuvre qui l’absorbait, il s’en occupait avec passion, il s’assimilait merveilleusement tous les élémens du sujet et, même dans les questions qu’il ne traitait que de seconde main, il mettait tant de chaleur et d’éloquence naturelle qu’il y paraissait tout de suite supérieur. Lorsque les membres de l’Ecole française d’Athènes qui composaient la Faculté des lettres arrivèrent à Nancy, M. Guerrier de Dumast voulut leur donner une preuve d’intérêt en prononçant devant eux quelques mots de grec moderne. Comme tous les hommes de sa génération, il avait été philhellène trente ans auparavant, il en reprit pour la circonstance les idées et le langage. Si de plus il avait été utile de s’habiller en palikare, il n’aurait éprouvé aucun embarras à le faire.

Trois hommes représentaient avec M. Guerrier de Dumast, à un degré inférieur, mais en traits précis, les qualités de l’esprit lorrain : MM. de Foblant, Alexandre de Metz-Noblat et Edouard Cournault. M. de Foblant avait appartenu au centre droit de l’Assemblée législative. C’était un libéral à la façon de