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Le soir du 17 quand, poursuivant les Anglais, Napoléon s’éloigna de Quatre-Bras, et fit bivouaquer son armée en face de celle de Wellington, il aurait été essentiel de prévenir immédiatement Grouchy. puisqu’il était chargé de s’interposer entre les Prussiens et l’armée de l’Empereur, et qu’il pouvait supposer que cette armée était restée à Quatre-Bras. L’état-major n’en fit rien. Il négligea aussi d’informer le maréchal que des colonnes prussiennes avaient été vues se repliant sur Wavre.

Au début de la bataille du 18, quand vers une heure et demie on s’aperçut de l’arrivée des Prussiens, et qu’on envoya à Grouchy l’ordre écrit, — irréalisable du reste, — de se rapprocher de l’armée principale, il aurait été essentiel de faire porter cet ordre par un officier de choix, capable de fournir verbalement des renseignemens précis sur la situation. L’ordre écrit avait été tellement griffonné, qu’il était illisible, — comme celui qui avait été porté à d’Erlon le 16 ; — et l’officier était ivre.

Voilà bien des fautes d’état-major. Et il ne s’agissait pas de décisions à prendre ; il y avait simplement à faciliter, à surveiller, à assurer l’exécution de décisions prises nettement par le chef suprême de l’armée : ce qui a toujours été du ressort des états-majors. Ces fautes, ces lacunes me semblent constituer des circonstances plus qu’atténuantes pour le maréchal de Grouchy, et devoir détourner de sa mémoire la plus lourde part de la responsabilité de ses retards. Oui, il n’a pas su se renseigner, se décider assez vite ; mais il n’a pas été aidé, orienté, comme il aurait dû l’être par l’état-major, avant et pendant sa mission.

La légende, encore accréditée, que la défaite de Waterloo est due exclusivement à des fautes commises par le maréchal de Grouchy, me paraît exagérée et injuste. N’est-elle pas due plutôt au système défectueux de l’utilisation de l’état-major[1], dans l’armée française ?

Il serait digne de la section historique de l’état-major de l’armée, qui n’a encore rien publié sur cette époque, de préparer la solution définitive de cette question troublante.

Quand cette publication aura été faite, l’esprit sera probablement

  1. J’ai déjà essayé d’attirer l’attention sur ces questions de haut commandement et l’état-major dans la Revue du 15 juin 1903 et du 15 décembre 1904. C’est là, à mon avis, qu’il nous reste à réaliser quelques progrès pour assurer, plus complètement encore, l’utilisation de notre armée, et pour couronner les efforts faits par le pays pour la réorganisation de ses forces militaires.