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poignets. C’est la grande différence entre M. Chamberlain et lui, et la cause secrète qui a maintenu la popularité du premier, tandis que celle de l’autre subissait une éclipse provisoire. M. Chamberlain s’est souvent trompé ; il a entraîné son pays dans des aventures ; que de déceptions au bout de sa politique ! Mais il a une franchise d’allures, une carrure, une combativité, une ténacité qui plaisent à nos voisins et les intéressent. Après la guerre du Transvaal, il a imaginé la réforme fiscale la plus opposée aux vieilles traditions et, nous en sommes convaincus, aux intérêts permanens de l’Angleterre. Malgré toute l’activité qu’il a déployée pour faire partager ses vues, il n’y a pas jusqu’à ce jour réussi : il est resté du moins très en deçà du but que s’était proposé son ardente propagande. Mais, si le système a été atteint, l’inventeur ne semble en avoir éprouvé aucun dommage personnel.

Il n’en a pas été de même de M. Balfour. Pourquoi ? C’est qu’il a rusé avec la difficulté au lieu de la prendre corps à corps. Tout le monde a compris ce que voulait M. Chamberlain : il a été beaucoup plus difficile de comprendre ce que voulait on ne voulait pas M. Balfour. M. Balfour a pris, entre le protectionnisme impérialiste de M. Chamberlain et le vieux libéralisme économique, une position intermédiaire qui ne satisfaisait personne. Il était pour le système de M. Chamberlain jusqu’à un certain point ; il n’en était plus au delà. On l’a accusé de se réfugier dans l’équivoque. Et puis, M. Chamberlain parlait à l’imagination du peuple anglais. S’il lui demandait des sacrifices, et des sacrifices très lourds puisqu’ils portaient quelquefois sur les objets d’alimentation de première nécessité, il faisait fortement résonner à ses oreilles ce mot d’Empire, qui a acquis tant de prestige dans ces dernières années. Il lui promettait de relier les membres de l’Empire britannique par un ciment qui donnerait à l’ensemble une consistance et une puissance sans égales : et il l’enchantait de ce rêve, sans l’amener pourtant à y croire. M. Balfour n’a rien fait de semblable ; il a plutôt fait le contraire. Il a proposé le protectionnisme pur et simple, sans le rattacher à cette idée d’Empire dont M. Chamberlain l’avait illuminé comme d’un feu de Bengale. Pour lui, le protectionnisme devait se traduire par une guerre de tarifs entre l’Angleterre et les pays d’où elle tire la matière première de son industrie et de son commerce. Cette conception terre à terre n’avait plus rien qui pût séduire. M. Balfour la défendait d’ailleurs avec tant de réticences qu’on se demandait jusqu’à quel point il en était partisan. Il est apparu comme l’homme des demi-mesures et des moyens termes, jouant