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glycérine et d’eau ; l’eau s’évapore et la glycérine, moins volatile reste. Plus ou moins purifiée par le noir animal, blanche ou blonde, on la livre ensuite au commerce.

Il faut à présent enlever aux acides gras le peu de savon calcaire qu’ils contiennent ; on y parvient par l’acide sulfurique qui s’unit avec énergie à la chaux pour fournir du sulfate de chaux peu soluble. Puis vient un lavage à la vapeur : on se débarrasse de l’excès d’eau par distillation. Désormais les acides gras sont purs. Refroidis et figés, ils sont soumis à un pressage à froid bientôt suivi d’un pressage à chaud qu’ils subissent emprisonnés dans des serviettes de crin. Ce pressage vise à un but très important, c’est d’expulser du mélange toute la partie fluide, à savoir l’acide oléique[1]. Il ne reste donc que la fraction solide constituée par un mélange d’acide stéarique et palmitique, ce qu’on appelle inexactement la stéarine.

Un gâteau de stéarine ainsi épuré ressemble, à la couleur près, à un rayon de miel. Il passe ensuite à la « coulerie » et au « moulage. » Qu’on se figure un immense atelier d’une étendue d’un demi-hectare dans lequel fonctionnent 64 machines à mouler. De nombreuses femmes agiles, proprettes, et jeunes pour la plupart, s’y démènent : presque toutes sont vêtues de couleurs voyantes, rose ou rouge, comme dans toute la Provence marseillaise. Le silence et la tristesse ne règnent guère dans l’atelier, et de bruyantes interpellations lancées en provençal s’y croisent sans interruption. Les mains de ces nombreuses ouvrières n’exercent pas d’effort fatigant, car tout s’y passe automatiquement, et elles n’ont en somme qu’à embrayer ou désembrayer le mécanisme[2]. Plusieurs d’entre elles apportent la stéarine dans de petits seaux qu’elles passent à leurs compagnes ; celles-ci, postées près des machines à couler, puisent avec un vase à bec la matière liquéfiée, la versent dans des moules cylindriques dont la mèche constitue l’axe ; l’immersion dans l’eau chaude parfait la liquéfaction ; un bain d’eau froide intervenant ensuite provoque la solidification et permet de détacher la bougie du moule. Nous voyons fabriquer sous nos yeux,

  1. On conçoit que l’acide oléique ainsi séparé laisse à désirer sous le rapport de la pureté. Avant de l’employer à la fabrication des savons ou à l’ « ensimage » des laines, on le purifie en le refroidissant et le soumettant à la pression.
  2. Leur gain oscille de 1 fr. 75 à 2 fr. 50 pour un travail de moins de huit heures, établi d’après des règles de roulement assez complexes, car l’atelier ne chôme que de 9 heures du soir à 5 heures du matin.