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de la végétation des alentours des usines[1]. Comme le sel marin ou chlorure de sodium peut être envisagé, toujours dans l’hypothèse dualistique, comme une association d’acide chlorhydrique et de soude, on avait reconnu qu’il était possible d’abord d’expulser à chaud l’acide chlorhydrique par l’acide sulfurique, agent plus énergique, et ensuite de chauffer le sulfate de soude obtenu avec de la craie et du charbon en vue d’obtenir un carbonate de soude, assez impur, souillé de matières résiduelles très diverses, mais néanmoins susceptible d’être caustifié et de faire du savon.

Cette substitution de la soude factice à l’ancienne soude végétale n’alla pas sans soulever quelques regrets dans le monde de la savonnerie. Tout Marseillais est volontiers spéculateur, comme nous l’avons dit ; or, à une substance importée de loin, avec frais et risques, on substituait une drogue sortie d’une usine presque contiguë. Plus moyen désormais de jouer sur les cours des soudes d’Egypte ou d’Alicante ! Adieu la vieille routine de préparation, ou pour mieux dire l’antique cuisine ! il fallut que le savonnier renonçât à ses habitudes traditionnelles plus que centenaires et apprît la chimie. Avec ou sans son aide, il reconnut bien vite que le savon de pure huile d’olive à la soude factice, n’était pas parfait, mais se montrait trop dur, et qu’en ajoutant un peu d’huile de graines, on corrigeait ce défaut. Grave question. Ces nouveaux savons ainsi mixturés ont-ils droit à l’estampille propre à l’olive ? La Chambre de commerce de Marseille soutient que non ; mais le Comité consultatif des arts et manufactures trouve le scrupule exagéré et déclare qu’on ne peut, après tout, ni entraver la marche des usines à soude, pour satisfaire les importateurs de soude végétale, ni fermer un large débouché aux huiliers du Nord. Quant à la marque, elle ne signifie qu’une chose : tout bonnement que le savon est de qualité extra[2].

Sous le règne de Louis-Philippe, la crise est déjà conjurée. Moins nombreuses, les fabriques, réduites à 45, dirigées par 35 propriétaires, occupent aussi moins d’ouvriers que jadis

  1. C’étaient les fumées du gaz chlorhydrique qui détruisaient la végétation aux approches des fabriques de soude, surtout au sud-est des établissemens, dans le sens où le mistral souffle.
  2. Aucune réaction chimique alors connue ne permettait, à cette époque, de distinguer spécifiquement l’huile d’olive surtout saponifiée. Poutet, dont nous avons déjà parlé dans notre précédent travail, n’avait pas encore commencé ses curieuses recherches.