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un élément culinaire de première nécessité. Enfin il fallait confectionner à Marseille le savon d’une seule opération, comme un bon cuisinier procède à la cuisson d’un plat qu’il veut réussir. Tant pis pour le maladroit qui eût été tenté de corriger ou de reprendre une opération manquée sur sa marchandise à moitié faite. Revenir sur ce qu’il avait obtenu lui était interdit.

Dans la suite, les anciens abus renaissent de leurs cendres et de nouveaux se manifestent. On se croirait reporté à notre temps, car ceux qui signalent ces infractions et les dénoncent à l’autorité compétente réclament des créations de postes d’inspecteurs bien rémunérés et, animés d’un noble zèle civique, se déclarent prêts à accepter l’emploi nouveau. En 1754, un arrêt du Conseil d’État remet en vigueur l’édit de 1688, mais non dans toutes ses dispositions, car on permet de violer désormais le chômage estival. La Chambre de commerce protestant, l’inhibition est rétablie six années plus tard. En revanche, l’arrêt de 1754 introduit une innovation qui dure encore au début du XXe siècle. Tous les fabricans sont dorénavant tenus de marquer lesdits savons blancs et marbrés de la marque qu’ils auront choisie et dont ils déposeront un double au greffe du juge des manufactures.

Nous avons le rapport des syndics inspecteurs de 1761, MM. Audibert et Labat associés à deux délégués de la Chambre de commerce, MM. Latil et Surian (ces deux noms encore honorablement représentés dans la grande famille des négocians marseillais). Ils constatent qu’à la date du 1er juin, tous les feux, conformément aux prescriptions légales, sont parfaitement éteints et que la qualité des marchandises en magasin ne laisse rien à désirer. Dès lors, ajoutent-ils, à quoi bon un inspecteur payé ? En 1773 le procès-verbal indique l’existence de 33 fabriques occupant en tout 150 chaudières. Peut-être relèverait-on quelques coïncidences entre les noms de leurs propriétaires à cette date et les raisons sociales actuelles, mais nous pouvons affirmer que plus d’un de ces établissemens, presque tous groupés il y a cent trente ans entre le Vieux-Port et la colline de Notre-Dame de la Garde, ne s’est pas déplacé depuis et se perpétue encore. L’année d’après, MM. Clary et Conil, escortés d’un commissaire de police, font le tour des usines et ne se montrent guère moins satisfaits que leurs devanciers.

En 1787, à la veille de la Révolution, le marquis de Pilles,