Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/661

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quartier des Invalides, il arriva, dit-il, à Milan, et revêtit l’uniforme, sans avoir perdu son innocence. Il écrit dans Brulard que ce sacrifice se produisit en Lombardie, mais sans qu’il en ait gardé le moindre souvenir. Singulière absence de mémoire ! Et le Journal, beaucoup plus rapproché des événemens, nous dit en toutes lettres à propos de ce premier séjour milanais : « Personne n’eut pitié de moi et ne me secourut d’un conseil charitable. J’ai donc passé sans femmes les deux ou trois ans où mon tempérament a été le plus vif. » De cette incurable timidité naquirent sans doute et son embarras dans les préliminaires galans, et son goût « inné » pour les servantes d’auberge qui lui semblent facilement « ayables. » La petite actrice Louason fut sa première, assez pénible et peu durable conquête : il l’eut bientôt désenchantée par son égotisme foncier, et les lettres de l’abandonnée anticipent, avec moins d’amertume et plus de dédain, les reproches ultérieurs de Menta. Combien ce siège de début fut pourtant prolongé et pénible à conduire, les pages du Journal nous le disent assez, en accusant vingt fois l’air gauche de leur auteur auprès des femmes, la maudite timidité qui le paralyse sans cesse, par exemple durant les toilettes de Mlle Louason, auxquelles il est admis par faveur. Et cependant Dieu sait que cette petite coquette, déjà dotée d’une fille naturelle, n’avait rien d’une forteresse imprenable. Son soupirant lui donne, en imagination, pour amans présens ou passés, tous ses visiteurs et toutes ses relations, et lui propose parfois, pour assurer sans risque leur commun bonheur, des combinaisons singulièrement caractéristiques[1]. Sa seconde passion, Mme Pietragrua, se moqua de lui lors de son premier séjour à Milan, pour ne céder que dix ans plus tard, devant des souvenirs de jeunesse habilement ‘évoqués, et désormais flatteurs à ses charmes mûrissans. Conquête d’ailleurs plus facile encore que celle de Louason ! L’heureux vainqueur ne s’en aperçut que trop tôt à ses dépens.

Mme Dembowska tout au contraire ne céda jamais, en dépit d’un siège amoureux poursuivi durant plusieurs années et d’une fidélité véritablement touchante dans sa sincérité ingénue. Mme Azur, une détraquée fort accueillante, n’eut, dans l’existence

  1. Voyez le Journal, pp. 214 et 218. — Pour la comtesse Palfy, ou Mme Z… une note du Journal, p. 354, est un bulletin de victoire, d’ailleurs exagéré et par là suspect. En revanche, une autre note de 1819 semble un aveu de défaite. Soirées du Stendhal Club, p. 45.