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De l’Amour indiquera un autre procédé grâce à l’emploi duquel « ces pauvres mélancoliques » parviennent plus sûrement « à éteindre un peu leur imagination. » Obligé par sa sincérité psychologique à se classer parmi ces infortunés, Stendhal fut toujours partagé entre l’admiration jalouse et l’antipathie décidée à l’égard des heureux caractères « forward, » dont les armées de l’Empire lui avaient offert plus d’un type. Mais il se console au total sur ses dispositions de naissance, parce qu’il accorde une compensation singulièrement flatteuse au tempérament mélancolique. Ce fut, dit-il, le privilège des grands hommes : la « timidité passionnée » est un des indices les plus sûrs du talent des grands artistes[1] ; et la consolation des mortels affectés de ce caractère doit être « que ces gens si brillans qu’ils envient et dont jamais ils ne sauraient approcher, n’ont ni leurs plaisirs divins, ni leurs accidens ; que les beaux-arts qui se nourrissent des timidités de l’amour sont pour eux lettre close. » Rousseau est à bon droit cité ici en témoignage, car le public a reçu mainte fois de sa part l’aveu de semblables chagrins, compensés par d’analogues satisfactions. Le mélancolique, conclut Beyle, même sans mérite, demeure toujours sympathique aux yeux de l’homme qui a vécu, car « on aime à serrer la main à un parent de la plupart des grands hommes. » Observations dont il faut saluer la vérité profonde, sauf à se souvenir que la science contemporaine nomme parfois dégénérescence supérieure la mélancolie telle que la connurent les Saint-Preux, les René, les Manfred ou les Octave.

L’attitude du mélancolique en amour ayant surtout préoccupé Stendhal, c’est ici le lieu de parcourir du regard les nombreuses passions qui tinrent une place prépondérante dans sa vie, et par contre-coup dans son œuvre littéraire et morale. Il nous faut dire en effet les renseignemens qu’elles apportent sur sa constitution mentale ; mais il nous sera permis d’être bref en traversant une région déjà si fréquemment explorée. Si nous en croyons Beyle, son imagination sexuelle se serait éveillée à peu de chose près vers la même heure que son intelligence enfantine. Mais on peut noter aussi, que, de son aveu même, il entra sans précocité dans la carrière pratique de la séduction. Malgré son séjour préalable à Paris, parmi les tentations du

  1. Histoire de la Peinture en Italie, p. 221 et suiv.