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livre qui ne soit singulièrement discutable. Il est vraiment trop simple d’expliquer par la survivance de la « mentalité romaine » l’esprit autoritaire des deux Frances rivales et leur désir passionné d’unité. Si c’est là en effet une tradition du Bas-Empire, — et pourquoi du Bas-Empire ? — qui s’est transmise à la France moderne, pourquoi la France moderne se l’est-elle si aisément assimilée ? C’est apparemment parce qu’il y avait en elle quelque chose qui s’en accommodait excellemment, parce qu’il y avait, pour ainsi dire, une sorte d’harmonie préétablie entre le « génie français » et le « génie romain. » Les peuples, comme les individus, ne subissent que les influences qu’ils sont comme prédestinés à subir ; et vouloir expliquer leur caractère par ces influences mêmes, c’est ne rien expliquer du tout. On pourrait du reste contester, sinon le fait, tout au moins la profondeur de cette « latinisation » de la culture et de la mentalité françaises. « En somme, dit très bien à ce propos M. Fouillée dans sa Psychologie du peuple français, en somme, Ibéro-Celto-Germains par le sang, nos ancêtres ont été latinisés par l’éducation romaine ; mais l’action ne fut pas toujours profonde. La fameuse « culture classique » dont Taine a exagéré l’influence, n’aurait eu qu’une influence superficielle, si elle n’avait trouvé en France certaines aptitudes natives qui n’ont rien de romain[1]. » Et l’on peut aller plus loin encore. Car enfin, cette « mentalité romaine » d’où proviendrait tout le mal, si par hasard nous la retrouvions dans les pays les plus étrangers à’ l’influence de Rome, ce serait une preuve assez forte qu’elle n’est pas, comme on le prétend, exclusivement « romaine. » Et, de fait, sans qu’il soit même besoin de quitter l’Europe, et d’invoquer l’exemple de la Chine ou du Japon, on voudrait bien savoir si la France a jamais été plus dogmatique, plus éprise d’unité morale, plus intolérante que l’Angleterre à l’époque d’Elisabeth ou de Cromwell : il n’y a pas quatre-vingts ans que la législation britannique, on l’oublie trop, a rapporté les odieuses lois d’exception contre les catholiques. Chacun sait d’autre part qu’il est peu de pays au monde où l’esprit autoritaire soit aussi développé que dans l’Allemagne contemporaine. M. Seippel, qui ne déteste point

  1. Psychologie du peuple français, Paris, Alcan, 1901, p. 170-171. — Voir en particulier dans ce volume l’intéressant chapitre intitulé le Caractère français jugé par les étrangers, et du même auteur, à la même librairie, l’Esquisse psychologique des peuples européens.