Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/642

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’éducation et de lecture ; n’être pas dupe de ce qui se dit et de ce qui s’imprime, et, par delà les agitations superficielles, les conventions et les mensonges, savoir démêler et saisir le sens vrai des réalités profondes. M. Seippel estime que ce travail de « mise au point » est peut-être moins nécessaire à un Suisse qu’à un autre. « Peut-être sommes-nous, dit-il, en mesure de juger les choses de France d’un observatoire particulièrement favorable : pas assez engagés dans la mêlée pour être aveuglés par la poussière qu’elle soulève, assez rapprochés pourtant pour en bien suivre les péripéties. » Je ne sais, — et c’est en tout cas l’avis, très autorisé dans l’espèce, de M. Edouard Rod[1], — si ce n’est pas là une flatteuse illusion. Rien ne vaut, en pareille matière, l’observation, le contact immédiat des hommes et des choses, bref, tout ce qui corrige la vérité des journaux et des livres par la vérité de la vie. J’ai bien peur que ce correctif indispensable n’ait un peu manqué à M. Seippel, et qu’il ne se soit pas suffisamment affranchi des préjugés mêmes contre lesquels il essaie parfois de réagir.

C’est ainsi, par exemple, qu’après avoir protesté, dans les termes que nous rappelions tout à l’heure, contre l’inexactitude foncière des peintures de mœurs que nous présentent tant de romans contemporains, il ajoute : « L’étranger austère qui s’en va faire ses études de mœurs françaises sur les boulevards parisiens peut bien être confirmé dans les idées que lui ont laissées ces romans-là. Même si son austérité avait eu quelque éclipse momentanée l’euphémisme n’est-il pas admirable ? il n’en reviendra pas moins à son calme foyer plein de la plus vertueuse indignation contre les turpitudes de la moderne Babylone. » — « L’étranger austère » a l’indignation facile. Il ne connaît sans doute ni Londres, ni Berlin, ou du moins, s’il y a vécu, il faut croire qu’il y a baissé bien chastement les yeux. Il n’a pas fait non plus, à Genève même, sur ce point délicat, une enquête très sérieuse. Et enfin, il oublie que les étrangers qui viennent égayer leur « austérité » dans notre « Babylone » ne

  1. M. Edouard Rod a publié dans le Journal de Genève des 30 octobre, 3, 6 et 13 novembre derniers, A propos des « Deux Frances, » quatre articles d’une remarquable impartialité et d’une extrême pénétration. Les derniers romans de M. Rod sont du reste la preuve vivante que l’observation directe est, en pareille matière, infiniment plus heureuse et plus féconde que la lecture, fût-ce même du Journal officiel.