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Mais, comme nous sortions. Maéda me saisit le bras et m’attira vers lui.

— Regardez ! fit-il.

Un homme s’avançait droit vers la porte, une lanterne à la main. Deux autres hommes le suivaient, portant une caisse semblable à celles qu’on avait déposées sous la remise et qui contenait, je l’ai su plus tard, la literie de l’oïran. Ils marchaient d’un pas de funérailles. L’oïran venait ensuite, montée sur des patins noirs qui la grandissaient étrangement. Son costume dépassait en magnificence tout ce que j’avais vu de plus riche et de plus somptueux. Sa chevelure rigide était auréolée de flèches d’or. Et sa figure, aux yeux fixes, aux lèvres closes, me parut moins une figure vivante que l’œuvre immuable d’un peintre qui excelle dans l’art de flatter les désirs. Deux servantes l’accompagnaient ; l’une, à sa gauche ; l’autre, derrière elle. Et un garçon, les bras vides, fermait le cortège. Il n’y avait personne dans la rue, hormis nous dont elle ne soupçonnait pas la présence. Mais elle traversait l’obscurité de la nuit du même pas et du même air qu’elle eût fait d’une salle illuminée, sous des milliers de regards.

Quand elle eut disparu au tournant de la remise, Maéda poussa un heureux soupir :

— Je vous félicite, s’écria-t-il : vous avez de la chance ! Vous pouvez dire maintenant que vous connaissez Kyôto. Vous avez vu une de ses créatures les plus rares… Cependant, ajouta-t-il mélancoliquement, ce n’est pas tout de la voir. Il eût fallu l’entendre chanter des vers ou jouer du koto ! Mais, que voulez-vous ? Ces dames ne se sont pas encore débarrassées des sots préjugés qui nous viennent de notre barbarie. Elles n’aiment pas les étrangers… Excusez leur impolitesse…


ANDRE BELLESSORT.