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Maéda est marié ; mais il ne m’a pas présenté à sa femme, qui d’ailleurs ne joue dans sa vie qu’un rôle très secondaire. À peine, une ou deux fois, ai-je entrevu cette dame agenouillée, les deux mains étendues sur les tatami de son antichambre, et la tête modestement relevée, pendant que Maéda, debout, et qui avait l’air de parler à la cantonade, signifiait que lui, le Maître du logis, ne rentrerait pas dîner.

Nous avons décidé de passer mon dernier après-midi de Kyôto, à quelque distance de la ville, aux bords des rapides de Katsura-gawa. Le chemin de fer y transporte, dans la semaine des cerisiers en fleurs, toute la vieille capitale grisée de leur parfum. Mais, observe Maéda, les gens de Kyôto, qui liardent sur la dépense, ne voyagent jamais sans leur panier de provisions, et l’on ne sait si la terre autour des cerisiers est plus blanche des pétales de fleurs que des miettes de riz. Le reste du temps, le plaisir consiste à remonter péniblement les rapides dans des bateaux plats pour les redescendre avec la vitesse et les bonds d’un ricochet. Le mont Arashi déroule ses épaisses forêts où la tendre verdure des cerisiers se détache sur la noirceur des pins. Les bateaux plats, que leurs bateliers halent en sautant de rocher en rocher, traînent, dans le bouillonnement des eaux, le jeune homme en bonne fortune et la jeune dame à la claire ceinture, accompagnés de l’indispensable, respectable, et encore jeune intermédiaire. Çà et là un portique vermillonné indique le voisinage d’un temple, et un bel écriteau rappelle que le meilleur rouge pour les lèvres se vend à Kyôto, rue Kiyamashi. Les maisons de thé qui bordent la rive bruissent de loin comme des tambours de basque.

Nous choisîmes un petit restaurant où conduisait une allée pavée de dalles et qu’entourait un enclos ajouré d’ouvertures en forme d’éventail.

Il y a un proverbe japonais qui dit : « Demandez un service même à votre père, lorsqu’il est debout. » Rien ne saurait mieux rendre la délicieuse paresse dont on se sent envahi, une fois qu’on s’est agenouillé et à demi couché sur les nattes japonaises, en face d’un joli paysage, d’un flacon de saké ou de sa propre rêverie La peine que vous éprouvez à vous soulever du fauteuil le plus confortable ne peut se comparer aux efforts qu’exige d’un Japonais la nécessité de se remettre sur pieds et d’agir. Maéda et moi, nous nous étendîmes dans une chambre du