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a tous les jours à Kyôto ; car chaque temple a la sienne, et, sauf les églises fréquentées des pèlerins, n’y attire que les enfans et quelques personnes du voisinage. Et c’était une cérémonie très familière, aussi rustique que des Ambarvales ou des Rogations. Mais la fantaisie japonaise en agrémentait la simplicité. Les enfans de chœur, couronnés de verdure, s’étaient attelés à de grands sabres. Les sacristains brandissaient des lances, des parasols et d’énormes goupillons de papier. D’autres s’avançaient avec des tables qu’ils secouaient en cadence. Les prêtres, vêtus de blanc et de jaune, montaient des chevaux caparaçonnés, et leurs manches, qui retombaient plus bas que les étriers, étaient relevées en arrière par leurs éperons fantastiques. Derrière eux, cheminait, sous un dais de soie blanche, un vieux cheval albinos. Cette procession, lentement organisée, descendit dans le lit de la rivière. Des jeunes filles, en robe lilas, et trois ou quatre personnes se prosternèrent ; et une foule d’enfans en kimono à ramages se bouscula silencieusement sur les pas du cheval sacré.

Le père qui s’était arrêté crut sans doute apercevoir l’ombre de son petit garçon se glisser au milieu d’eux. Il traversa, lui aussi, la rivière pierreuse et les suivit à distance. « Voilà d’heureux enfans ! pensait-il. On transporte les ornemens et les reliques du temple à l’ancien monastère du Mont Hiyeisan pour les en rapporter dimanche ; et peut-être les accompagneront-ils jusqu’au bout. Toute la journée, ils marcheront dans des ombrages magnifiques et verront ce que le monde a produit de plus beau. »

Le matin brillait sur les collines. Çà et là, le toit d’un sanctuaire perçait le feuillage et retroussait vers le ciel sa proue de cuivre doré. Les avenues des cryptomérias, qui mènent aux grandes églises, traçaient dans cette houle de verdure des zones plus sombres. Entre la rivière et les hauteurs, les rizières pétillaient de coassemens et de soleil. Et la procession s’éloignait avec ses sabres, ses parasols, ses voiles de safran qui jetaient des lueurs roses, ses chevaux qui buttaient contre les pierres, comme un peu de splendeur mouvante au milieu d’une immobile splendeur. Est-ce qu’on pouvait, en un matin pareil, enfouir un petit être sous la terre, un petit être qui risquait de ne jamais savoir ce que valent les printemps de Kyôto ? Notre homme réfléchit qu’il connaissait un prêtre du temple de Yoshida, et que la politesse lui faisait un devoir de l’informer de son deuil. J’ignore