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La population de Kyôto a le teint plus blanc, le parler plus doux que celle des autres provinces, et je n’imagine pas qu’il puisse exister sur toute la terre ronde une population plus polie. « Les femmes à Miakô ; les hommes à Yedo ! » disait le vieux proverbe. Yedo se nomme aujourd’hui Tôkyô ; Miakô s’appelle Kyôto ; mais le proverbe continue d’avoir raison. Les femmes y sont presque toutes gracieuses et quelques-unes vraiment jolies. J’entends que ces dernières seraient jolies aussi bien en Europe qu’en Asie, partout où il y a des hommes et qui ont des yeux. Les geishas m’y semblent particulièrement exquises. On m’assure que la plupart d’entre elles ne mangent que le riz qui pousse sur les montagnes, parce qu’il est moins nourrissant que celui de la plaine. Peut-être doivent-elles à cette manne légère l’immatérielle finesse de leur visage et leur petit air de songe. Lorsque j’aperçois, à la clarté de la lune, un de ces champs de riz aériens sur l’âpre flanc d’une colline, je pense tout de suite aux geishas de Kyôto et à l’ingéniosité des Japonais qui, de la pauvreté de leur terre, ont su faire de la beauté. Les femmes de la bourgeoisie, sous leurs vêtemens d’apparence plus modeste, ont une distinction que les autres n’essaient pas même d’imiter. Beaucoup descendent de la noblesse ; mais leur ruine ne fut point une déchéance : elles restent dans la médiocrité banale ce qu’elles furent autrefois dans leur médiocrité dorée. D’ailleurs cette noblesse de Kyôto, si appauvrie par la Révolution, loin de bouder contre le siècle et de s’en retirer avec aigreur, s’est docilement conformée aux nouvelles exigences de la vie.

Je rends souvent visite au directeur des postes et télégraphes. Son baraquement fourmille de petits employés qui n’ont pas atteint leur treizième année, et dont plusieurs appartiennent à des familles d’anciens courtisans. Je ne m’étonne point de leurs manières. Ces enfans me saluent et me précèdent au bureau de leur maître comme ils l’eussent fait jadis dans le palais d’un Daïmio. Ils mettent au service de la civilisation [moderne cette urbanité charmante dont ils sont les innocens dépositaires, et peut-être les derniers ! Nous entrons quelquefois chez les demoiselles du téléphone. On les recrute surtout dans les maisonnées pauvres, et je conviens qu’elles sont généralement fort laides.