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bénédiction du ciel s’était installée dans sa famille sous la forme d’un ménage à trois. Rien n’aurait troublé l’intimité de cette bombance, n’eût été que le bonze en flaira la cuisine. Et quand un bonze a senti ces odeurs-là, il en perd jusqu’à l’instinct de conservation. Le nôtre apparut donc. Ah ! le beau moment ! D’un bond, le charpentier, son gendre et les trois femmes se levèrent. Il fut agrippé, houspillé, étrillé, jeté dehors ; la belle-mère surtout se montra féroce…


Lorsqu’on demande aux Japonais si les gens de Kyôto ont gardé leur foi naïve, ils vous conduisent au temple Higashi Hongwanji, le plus grand du Japon, qui, brûlé en 1864, a été rebâti avec une invraisemblable magnificence. Il a coûté des millions aux fidèles. On affirme que les femmes donnèrent leur chevelure pour en tresser les câbles qui traînèrent du fond des forêts ses quatre-vingt-seize colonnes. Mais l’orgueil eut autant de part que la piété dans cette œuvre de restauration. Que ne nous mènent-ils simplement aux théâtres populaires ! Les peuples qui vivent dans la familiarité des dieux ont seuls le privilège de se moquer, en toute innocence, des prêtres, des saints, des miracles et des dieux eux-mêmes. Leurs facéties libertines ne craignent pas de butter à des pierres de scandale. La recette de la baraque où l’on berne les bonzes n’enlève pas un rin à la petite chapelle dont une veilleuse éclaire le grillage, juste en face.

Tous les ans, à cette époque, les danseuses de Kyôto dansent les danses printanières. Leur théâtre, — j’allais dire leur sanctuaire, — est situé à l’extrémité d’une de ces rues qui arrachent des cris d’horreur aux vieilles dames anglaises et aux vieux colonels américains impatiens d’évangéliser le Japon. Ce sont des rues interminables. On chemine entre deux rangées de lanternes rouges suspendues à des auvens et de maisons noires d’où s’échappent des filets de lumière et des sons de shamisen.

Les spectateurs ne pénètrent dans la salle des danses qu’après avoir assisté, en manière de recueillement ou de purification, à la cérémonie du thé. La bizarrerie merveilleuse de cet office célébré par une jeune femme me cause un ravissement inexprimable. Ceux qui l’ont vu « jouer, » en Europe, dans le salon