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indéchiffrable pour moi qu’une tombe égyptienne ou qu’un ciel étoile, mais dont la magnificence et la variété me ravissaient l’âme. Parfois, quand je m’y croyais encore au centre, j’en touchais la frontière, et, comme d’une porte brusquement ouverte ; la rumeur de l’Arsenal bondissait jusqu’à nous. Les haches des menuisiers, les marteaux des forgerons sonnaient et retentissaient dans un vaste écroulement de pierres…

Maintenant que j’essaie de revivre quelques-unes de mes journées et de mes nuits japonaises, et qu’aux échos déjà lointains d’une guerre formidable, je réveille, du fond de mes souvenirs, l’image de ce pays, — le plus joli visage de la nature qui ait jamais souri aux vents du ciel, — c’est comme si je pénétrais encore dans le jardin du prince de Mito…


LES ENCHANTEMENS DE KYÔTO

L’endroit était délicieux. Je ne me rappelle plus le nom du temple, mais on découvrait toute la plaine entourée de collines où Kyôto s’étend comme une marée basse de maisons brunes et noires. Les toits de ses palais n’émergeaient point : je ne distinguais que leurs massifs de verdure ; et le lit desséché de sa pauvre rivière, ce lit de galets trop large et qui paraît immense, se déroulait au soleil et la ceignait d’une pâle écharpe étincelante. Sur le penchant des collines, partout, les escaliers des temples, les pagodes, les sanctuaires, les jardins sacrés, les halliers se découpaient, se profilaient, s’épanouissaient dans une limpidité bleue où les rayons du matin les estompaient d’or. Seuls les ruisseaux et les oiseaux chantaient. Les habitations des hommes n’étaient pas moins silencieuses que les demeures des dieux. Jadis, au temps des splendeurs impériales, lorsque l’Empereur résidait à Kyôto et que, sur quatre cent mille âmes, la ville comptait cinquante mille prêtres, ce n’étaient, dans ces longues rues étroites et sous ces allées montantes, que bruissemens de soie, cliquetis de sabres, sons de flûte, musiques de danses, et, du matin au soir, les bonzes battaient les cloches avec des marteaux de fer.

Nous nous étions assis près du temple, à la porte d’une maison de thé. Bannière en tête, une école de fillettes passa, toutes en kimono clair, conduites par leurs maîtresses qui avaient l’air de leurs grandes sœurs. Elles allaient faire leurs dévotions