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du matin, il dicta à son aide de camp Nostitz la lettre suivante :


« Au général von Müffling[1].

« J’ai l’honneur de vous prier de dire, en mon nom, au duc de Wellington, que, tout malade que je suis, je marcherai à la tête de mes troupes pour attaquer aussitôt l’aile droite de l’ennemi, si Napoléon entreprend quelque chose contre le duc. Dans le cas où l’ennemi n’entreprendrait rien aujourd’hui, je suis d’avis que nous devrons demain, réunis, attaquer l’armée française.

« Je vous charge de faire cette communication au duc, comme le résultat de ma conviction intime. Je regarde ce dessein comme le meilleur et le plus approprié au but, dans notre situation actuelle. »

Avant de porter cette lettre, Nostitz la montra à Gneisenau qui lui fit ajouter ce post-scriptum :

« Le général Gneisenau partage les avis exprimés dans cette lettre ; il a l’honneur de vous prier d’examiner avec soin si le duc est bien réellement dans l’intention de se battre dans sa position ; ou s’il ne s’agit que d’une simple démonstration, laquelle pourrait devenir très dangereuse pour notre armée. Je vous prie de me communiquer votre avis à cet égard, car il est de la plus haute importance que nous puissions fonder nos mouvemens sur ce que le duc fera réellement. — Comte NOSTITZ. »

Cette dernière lettre, conclut Lettow[2], « permet de reconnaître d’une façon indubitable que le maréchal Blücher a pris seul, sans entente préalable avec Gneisenau, cette décision grave pour l’issue de la guerre, de marcher avec l’armée entière. C’est un tout nouvel aspect de l’attitude de ces deux hommes, vis-à-vis l’un de l’autre, que celui qui permet de voir Blücher se libérer de l’influence de son chef d’état-major, dans le domaine des opérations, là où il ne se sentait pas à l’aise auparavant, et où il s’était toujours laissé guider par le conseiller qu’on lui avait adjoint. Celle résolution a eu de grandes conséquences ; en outre, elle est par elle-même d’une grande justesse. Elle a fait échapper aux inconvéniens de la séparation de l’armée eu deux, qui avait

  1. Napoleons Untergang, p. 397.
  2. Ibid., p. 398.