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souffert d’un côté tout ce que son devoir et sa situation lui imposent, écrit d’Avaray, il va jouir et respirer au milieu de ses enfans. » Dans le spectacle de leur jeune bonheur, il puisa le courage d’épargner à son frère des remontrances cependant bien méritées, mais qu’il n’eût pu faire sans affliger profondément le Duc d’Angoulême, qui ne redoutait rien tant que de voir son oncle et son père se désunir. Le Comte d’Artois ne sut jamais que le Roi avait eu connaissance de sa lettre à la Reine et nous ignorerions ce pénible incident, s’il n’y était fait une brève allusion dans les notes de d’Avaray.

Elles sont moins discrètes et moins sommaires en ce qui touche une autre preuve de l’esprit d’indiscipline de Monsieur et de ses prétentions, qui se produisit presque au même moment et donna lieu à de nouveaux débats entre les deux frères. Le Roi, sur le conseil de l’abbé André, avait, peu après le 18 Fructidor, réorganisé son agence de Paris et créé un conseil, dit Conseil royal, composé d’hommes dignes de sa confiance : le marquis de Cermont-Gallerande, l’abbé de Montesquiou et un jeune député aux Cinq-Cents, Royer-Collard. Monsieur, craignant de voir s’amoindrir son influence sur le parti royaliste, après avoir vainement tenté de prendre la direction de ce conseil, ne craignit pas de créer dans la capitale, avec le concours de deux émigrés, le chevalier de Coigny et Hyde de Neuville, un conseil rival à la dévotion du gouvernement britannique et de contrecarrer ainsi les projets de son frère. Cette agence nouvelle, désignée sous le nom de Comité anglais, eut de retentissantes et cruelles aventures[1]. La police de Fouché en découvrit les ressorts et les auteurs. Il en résulta pour la cause royale un dommage irréparable dont la responsabilité incombait tout entière à Monsieur. Le Roi, cependant, ne lui tint pas rigueur de cet incident qui défraye une partie de la correspondance royale. Il n’est qu’un fait à retenir ici, c’est que ce fut le dernier où le Roi eut à formuler des plaintes.

Il est vrai qu’à cette époque, les agitations de Monsieur étaient paralysées par le mauvais vouloir des cabinets européens, qu’avaient terrifiés l’ascension foudroyante de Bonaparte et ses victoires

  1. J’ai raconté dans mon Histoire de l’Émigration, t. II, p. 408 et suiv., la formation de l’agence anglaise. Quant à ses démêlés avec la police, ils forment un épisode à part et trop important pour qu’il y ait lieu d’en narrer à cette place les péripéties.