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admissible entre nous, ce serait celui où l’on viendrait me faire une proposition importante en exigeant ma parole d’un secret universel. Le malheur de celui qui est au timon est de ne pouvoir toujours se livrer à ses sentimens les plus naturels et, si je trouvais que l’affaire le méritât, il faudrait bien donner ma parole et la tenir. Mais si j’étais exposé à me trouver momentanément dans ce cas à votre égard, vous ne pourriez jamais y être au mien. »

Cette lettre était expédiée, lorsque des informations envoyées ; de Suisse par le baron d’André, représentant de Louis XVIII auprès de Wickham, firent soupçonner au Roi le véritable but de la présence de son frère à Londres. Ces informations l’autorisaient à penser que Monsieur agissait auprès du ministère britannique à l’effet de se faire octroyer le commandement d’un corps de vingt mille Suisses que se proposait de former l’Angleterre pour seconder les armées russes qui se dirigeaient vers la France. Si l’on se rappelle qu’il avait toujours été convenu que le Comte d’Artois irait dans l’Ouest pour se mettre à la tête des Chouans et qu’il était averti que son frère s’efforçait d’obtenir du Tsar l’autorisation de marcher avec les troupes que commandaient Souvarow et Korsakow, on comprendra combien le Roi fut indigné de voir son lieutenant général marcher sur ses brisées, s’efforcer de se substituer à lui en Suisse au lieu de se porter en Bretagne, et avec quelle impatience il attendit des nouvelles plus précises et plus sûres.

Il ne les reçut que le 22 août. Une lettre de Monsieur, en date du 27 juillet, lui apprenait qu’il n’avait pu conférer encore avec les ministres anglais, bien qu’ils l’eussent appelé à Londres, mais qu’il était averti que, « ne comptant employer les royalistes de l’Ouest que comme un moyen secondaire et pour faire une simple diversion, ils lui proposeraient de se porter en Suisse sans délai pour y être mis en activité avec les troupes de cette nation que le gouvernement britannique lève et solde. » — « J’écouterai tout ce qui me sera proposé avant de me décider, disait Monsieur ; mais si mes conjectures sont justes et si je vois que mes représentations à cet égard ne produisent aucun effet, comme je dois m’y attendre, je n’hésiterai pas à accepter un moyen aussi honorable de vous bien servir et je ne perdrai pas un instant pour me rendre en Suisse. » Le prince ajoutait que le Duc de Bourbon, muni des pouvoirs que le Roi lui avait octroyés trois ans