Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/574

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La remontrance est certes inoffensive. Monsieur, n’en voyant que le blâme, s’en montre étonné et affecté. Il déclare toutefois « qu’il n’en parlera plus et n’y pense plus du tout. » Le Roi s’offense de cette protestation. Il en envoie une copie à son frère, « Je suis sûr qu’en la relisant, vous serez fâché de l’avoir écrite. » Quelques jours plus tard, avant même d’avoir reçu une nouvelle explication, il revient sur l’incident, reconnaît qu’il ne se fût pas produit si lui-même n’avait eu le tort de ne pas répondre aux demandes de son frère, s’excuse en alléguant que lorsqu’il les a reçues, il avait « la tête en compote ; » — « n’importe, j’aurais dû répondre tout de suite. » C’est une concession ; mais, elle ne porte que sur la forme ; il ne cède pas sur le fond. « Trouve bon, je t’en prie, que je ne fasse pas le roi de Versailles et que je ne donne ces distinctions qu’au moment de l’activité. » Il ajoute en confidence « qu’après la mort de son pauvre neveu, » il a fait in petto une promotion de Cordons bleus et que les protégés de son frère y figurent. « Mais, je ne veux pas le dire tout haut parce que, outre que les promesses faites d’avance ne valent rien en général, je ne me soucie pas de vendre la peau de l’ours. Ainsi, si ces Messieurs t’ont chargé de me faire ces demandes, dis-leur de bien jolies choses ; assure-les qu’ils seront contens, mais ne trahis pas mon secret. »

Cette lettre vient de partir lorsqu’en arrive une de Monsieur en date du 15 mars, dont l’affaire La Rozière fait tous les frais et où il plaide les circonstances atténuantes. Mais elle ne donne pas satisfaction à son destinataire. « Elle ne guérit pas le mal que m’avait fait celle du 11 février, écrit-il. En vérité, plus je relis la mienne du 22 décembre et moins je trouve qu’elle ait pu te blesser. Je n’en suis pas moins affligé de t’avoir fait de la peine. Il n’y aurait qu’une affliction pire que celle-là : ce serait de te voir douter un instant de ma tendresse. Je n’en parlerai plus. Si tu étais là, je t’embrasserais de tout mon cœur et tout serait dit. »

Ces accens émeuvent le Comte d’Artois. Pour y répondre, il ne prend conseil que de son cœur : « J’ai reçu avant-hier, mon cher frère, votre lettre du 4, et mon cœur a besoin de vous exprimer, comme il le sent, à quel point je suis touché de votre réponse à ma lettre du 15 mars. Je n’ai jamais regretté plus vivement de ne pas être à portée de vous sauter au col. Mais nous nous devinerons toujours mutuellement et tout servira à