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prendre et pour les prendre en temps utile. Il est donc de toute nécessité de laisser au lieutenant général sa liberté d’action. Il y a du vrai dans ce raisonnement. Le Roi le comprend, se résigne, mais il exige que toutes les fois qu’il pourra être consulté, on le consulte.

Dès ce jour, au fur et à mesure que parviennent à sa connaissance les décisions prises par son frère, il n’est que trop porté à se demander si, véritablement, elles étaient assez urgentes pour qu’il ait été nécessaire de les prendre sans solliciter son avis. S’il en juge autrement, il le dit en homme résolu à ne pas laisser tomber son pouvoir en quenouille et qui entend l’exercer sans entraves. Monsieur, — c’est sous ce nom que, depuis que le Comte de Provence est devenu roi, on désigne le Comte d’Artois, — répond, s’explique, s’efforce de se justifier. Ses argumens ne plaisent pas toujours. Le Roi qui envie son activité, le bonheur qu’il a d’être à portée du royaume, la gloire qui l’attend s’il parvient à y pénétrer, redoute, sans oser l’avouer, qu’il ne veuille s’assurer à lui seul le mérite d’avoir rétabli la monarchie. Quand il le pousse à se jeter en Vendée, c’est avec le cuisant regret de ne pouvoir agir de même, soit sur ce théâtre, soit sur un autre. Son confident, le comte d’Avaray que le souci de la gloire de son maître rend parfois injuste, déliant, soupçonneux, entretient ses dispositions, lui fait partager ses propres préventions, qui souvent sont fondées, car il n’est que trop certain qu’il y a dans la conduite de Monsieur un excès d’indépendance, souvent peu compatible avec ses devoirs de sujet. De là, entre le Roi et son frère, des discussions, des querelles, des conflits, qui ne s’étaient jamais produits quand ils étaient réunis, que leur séparation multiplie et qu’elle envenimerait irréparablement si la tendresse fraternelle ne finissait par prendre le dessus.

Entre les griefs de Louis XVIII contre Monsieur, de 1795 à 1801, 1e plus réel, qui est aussi le moins apparent dans la correspondance royale où il en est à peine fait mention, se fonde sur le retard que met le Comte d’Artois à répondre aux appels des Vendéens, retard qu’expliquent trop imparfaitement ses dires pour qu’on puisse trouver dans les raisons qu’il en donnait une justification et qui, finalement, aboutit à une impossibilité matérielle de débarquer sur les côtés de l’Ouest.

En recevant à sa Cour le Comte d’Artois, l’impératrice Catherine l’avait vivement pressé d’aller en Bretagne. Elle espérait lui