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notre société, font bon marché de leurs droits ! Mais nous voudrions que les honnêtes gens, ceux qui ont une conscience, qui ont le sentiment élevé de leurs obligations envers eux-mêmes et la patrie, sentissent que l’abstention est la désertion d’un devoir. En présence de tant de défaillances individuelles, nous n’hésitons pas à appeler de nos vœux le jour où le législateur, remaniant la loi électorale, substituera à l’idée de droit, l’idée de fonction. Quoi ! nous sommes condamnés à l’amende si nous ne siégeons pas dans un jury, si nous refusons de nous rendre à la convocation du juge de paix pour l’élection d’un tuteur, et lorsqu’il s’agit de donner un tuteur à la France, nous pourrions nous soustraire à l’appel ! Il suffirait d’une légère amende prononcée par le juge de paix sur le vu de la liste d’émargement pour rappeler l’électeur français à son devoir : les excuses seront admises, mais le caprice ou l’indifférence seront frappés, et peu à peu entrera dans les esprits une notion plus élevée de l’élection et de son rôle dans l’État[1]. Si on examine les partis politiques, on constate que jusqu’ici les plus avancés, ceux qui peuplent l’extrême gauche du Parlement ont à un plus haut degré la conscience de leur droit. Enrôlés dans des bataillons disciplinés, ils ne désertent pas et, le jour du combat, ils sont à leur poste. Il faut savoir, en une démocratie, organiser les forces soumises à une idée et prêtes à combattre pour en assurer le triomphe. L’association politique, que toutes nos lois pendant un siècle ont interdite, est aujourd’hui légale. Les Français peuvent au grand jour constituer un parti. Une réforme électorale qui conquiert peu à peu les esprits doit y aider. À la représentation proportionnelle appartient l’avenir. Nous l’appelons de tous nos vœux. D’autres ont ici même défendu le principe[2]. Nous estimons que la liberté électorale ne sera assurée qu’avec le régime de la proportionnalité. Dans plus de la moitié de nos circonscriptions, on sait d’avance quelle est l’opinion

  1. La loi belge a déclaré en 1894 le vote obligatoire. Les abstentions, qui s’élevaient à 16 pour 100 en 1892, sont tombées à 5 pour 100 en 1894 et 6 pour 100 en 1900. (Annuaire statistique de la Belgique, 1904, p. 133.) La peine est une amende de 1 à 3 francs, pouvant être élevée à 25 francs en cas de récidive, sans jamais d’emprisonnement. Une quatrième récidive entraîne une radiation des listes, pendant dix ans, accompagnée d’une incapacité de recevoir aucune nomination, promotion ou distinction quelconque. (Art. 220 et suivans du Code électoral.)
  2. Voyez l’étude de M. Charles Benoist sur les Deux Parlementarismes, dans la Revue du 15 janvier 1902 et son rapport du 7 avril 1903 à la Chambre des députés.