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responsabilité ait satisfait la morale publique ! Aux yeux de qui la nullité d’une telle élection prononcée quelques mois plus tard paraîtra-t-elle un châtiment ? Combien de faits de ce genre depuis vingt ans ? est-il un seul maire qui ait été condamné[1] ?

Poursuivons notre enquête ; suivons les dernières opérations ; supposons que les présidens de bureaux électoraux aient fidèlement accompli leur tâche, que le dépouillement se soit terminé sans scandale, que les listes d’émargement aient été bien tenues ; les pièces sont envoyées de la mairie à la préfecture. La commission de recensement commence son œuvre : si elle est fidèle à la loi, c’est un contrôle assez simple et la vérification d’additions faites à la hâte le soir du scrutin ; mais si la passion s’en mêle, les résultats de l’élection peuvent être en quelques heures entièrement bouleversés. Voici le procédé le plus fréquemment employé : les bulletins nuls et douteux sont annexés aux procès-verbaux de chaque commune. La Commission de recensement n’excède assurément pas ses pouvoirs en restituant à tel ou tel candidat les bulletins qu’un doute lui a enlevés. De là à remanier tous les chiffres en déclarant valables les bulletins nuls, en annulant toute une liste d’émargement[2], en augmentant la majorité absolue, il n’y a que la distance qui sépare une conscience nette des manœuvres de politiciens subordonnant les moyens au triomphe final.

C’est ainsi que des candidats d’opposition dont le succès avait été annoncé le soir du scrutin se sont vus, trois jours après, battus de quelques voix par le candidat de la préfecture, proclamé grâce au zèle d’une commission de recensement.

En résumé, ceux qui, possédant le pouvoir municipal et le pouvoir préfectoral, veulent à tout prix faire sortir du scrutin le candidat de leur parti, ont à leur disposition les listes électorales préparées sans contrôle, la police du scrutin sans limites, les recensemens sans garanties, et contre des actes coupables viciant sous la forme la plus grave l’origine même de nos pouvoirs publics, la répression, quand elle n’est pas nulle, est énervée ou tardive, la responsabilité n’existe à aucun degré.

  1. Voyez, entre autres, l’étrange jugement d’acquittement prononcé par le Tribunal de Lodève du 26 juin 1902, confirmé par la Cour de Montpellier.
  2. Une Commission de recensement avait annulé le vote d’une commune parce que la liste d’émargement portait des croix au lieu de parafes. La Cour de cassation a jugé que la décision injustifiable de la Commission ne tombait pas sous le coup de la loi. (Cass., 7 avril 1881. Bull. n° 95.)