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parce qu’ils préparent en quelque sorte les abus les plus graves : ils altèrent la pureté des consciences, les abaissent à une foule de capitulations de détail, les habituent à se vendre, leur enseignent la corruption et les moyens d’en user.


II


La bonne tenue des listes électorales est, dans l’état actuel, la première garantie du droit de l’électeur. La loi a déclaré solennellement que les listes étaient permanentes et qu’elles seraient soumises à une révision annuelle. Cette révision donne lieu à une série de formalités qui doivent s’accomplir en janvier de chaque année. Annoncée à grand fracas dans les villes par une série d’affiches invitant les électeurs à vérifier leur inscription, cette révision est aussi bruyante que vaine ; elle est, suivant les lieux, une œuvre bureaucratique sans portée, ou bien un moyen de faciliter les actes les plus coupables. L’incurie suffit d’ailleurs à préparer la fraude ; le maire s’abstient de rayer les électeurs décédés ou ayant quitté la commune ; personne ne réclamant leur radiation, des cartes électorales sont dressées et remises le jour du scrutin à des hommes prêts à tout faire qui courent de bureau en bureau votant aux diverses sections. Partout où une municipalité cherche à altérer l’élection, se rencontre le même procédé. Il n’est pas un maire suspect qui ne laisse s’accumuler un fond de liste d’où il tirera autant d’électeurs fictifs. Ce genre de fraude est plus facile dans les grandes villes[1] ; il y a tel chef-lieu de département où plusieurs milliers de faux électeurs votent de la sorte. À Lyon, une ou deux circonscriptions ont été l’objet d’une épuration ; un Comité s’est formé pour l’assainissement des listes : une lettre recommandée a été adressée à chaque électeur inscrit ; dès que la lettre revenait avec la mention « inconnu », une demande en radiation était adressée à la mairie ; mais si l’œuvre était longue, le temps imparti aux réclamations était court ; il fallait un dévouement exceptionnel pour triompher en vingt jours de la mauvaise volonté des bureaux.

Ce n’est pas la seule fraude à laquelle donne lieu la tenue des listes électorales. On a vu des centaines d’électeurs retran-

  1. Les fraudes commises à Toulouse ont donné lieu à de longs débats judiciaires qui ont fait connaître les procédés les plus variés. Aucun résumé ne vaut la lecture des journaux de Toulouse du 12 novembre 1893 au 19 mars 1895.