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« Le prince de la Moskowa[1] n’apprit le mouvement de d’Erlon que par le général Delcambre, chef d’état-major du Ier corps… II s’emporta… Exaspéré, aveuglé par la colère, il ne réfléchit pas que le Ier corps ne pourrait plus arriver en temps utile à Frasnes, et que l’y rappeler c’était traverser les plans de Napoléon et contrevenir de la façon la plus grave à sa volonté. Il renvoya le général Delcambre avec l’ordre impératif pour d’Erlon de ramener ses troupes… »

Il résulte de ces deux versions, quelques différences qu’elles présentent, que l’Empereur a manifesté nettement sa volonté de distraire le corps d’Erlon du détachement d’armée commandé par le maréchal Ney ; que cet ordre était parfaitement exécutable, et que son exécution aurait entraîné des conséquences graves, décisives, pour la journée et pour la campagne ; enfin qu’il n’a pas été exécuté par une faute d’état-major, par suite de négligences ou d’erreurs de transmission.

À qui incombe cette faute ? Est-ce à Napoléon lui-même ? Est-ce au major général Soult qui remplissait les fonctions de chef d’état-major de Napoléon, pour la première fois ?

« Avant l’ouverture de la campagne, le choix d’un major général[2], dit M. Henry Houssaye, préoccupait gravement Napoléon. Par qui pourrait-il remplacer Berthier ? Le prince de Wagram n’était ni un capitaine, ni un organisateur, ni un esprit élevé ; mais il possédait des connaissances techniques étendues, et il avait porté à la centième puissance les qualités d’un bon expéditionnaire. Infatigable, consciencieux, diligent, prompt à saisir les ordres les plus compliqués, habile à les traduire dans tous leurs détails avec une exactitude, une précision et une clarté admirables, ponctuel enfin à les transmettre au moment déterminé, il avait été pour Napoléon un instrument parfait. Avec lui, l’Empereur était tranquille ; les ordres étaient rédigés de telle sorte que ceux qui les recevaient n’avaient aucun doute ni aucune hésitation sur la façon de les exécuter. Et ces ordres arrivaient toujours, Berthier dût-il faire porter chacun, s’il le croyait prudent, par huit officiers prenant des routes différentes…

« Soult était aussi supérieur[3] à Berthier qu’un homme de pensée et d’action l’est à un bon commis. Mais il n’avait jamais

  1. 1815. Waterloo, p. 205 à 207.
  2. Ibid., p. 56.
  3. Ibid., p. 59.