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d’acceptable dans son programme ; et il ne suffit pas de le concéder à terme, il faut encore l’exécuter à temps. Si le Gouvernement avait saisi, dès le début, les occasions qui se sont offertes à lui, non pas de promettre, mais d’accorder et de réaliser les réformes que réclamait l’opinion éclairée, la révolution n’aurait peut-être pas été arrêtée, mais le cours en aurait été ralenti et suspendu peut-être pour longtemps. Il n’y a rien de pire que de laisser passer l’heure opportune des concessions, car la nécessité des concessions persiste, mais l’heure n’en revient plus aussi propice. La réforme politique n’a pas été faite au bon moment : il est à souhaiter qu’il n’en soit pas de même de la réforme agraire. Les esprits s’exaltent et s’aigrissent, les appétits se déchaînent dans une attente trop longue. Aujourd’hui, quelle est la situation ? Si le gouvernement avait le malheur de croire que la victoire qu’il a remportée sur l’émeute, à Moscou, le dispense de faire des réformes sérieuses, le danger contre lui ne tarderait pas à renaître et dans des conditions aggravées. S’il accomplit, au contraire, ces réformes, et s’il le fait largement et loyalement quoique prudemment, le mauvais sort sera peut-être conjuré. Pour la dernière fois, n est maître de l’heure, et nous souhaitons qu’il en profite mieux que la première. Une seule chose est absolument impossible en Russie, c’est le maintien intégral du statu quo. Il était bon que le gouvernement redevînt fort et en fit la preuve ; mais, s’il est fort contre l’émeute qui trouble l’ordre dans la rue, il ne l’est pas contre la révolution qui se fait dans les esprits, ou plutôt qui s’y est faite et qui déjoue toutes les tentatives de réaction. Qu’on se garde de dire aujourd’hui : L’ordre règne à Moscou, comme on a dit autrefois : L’ordre règne à Varsovie. L’ordre véritable est l’ordre moral : il ne peut se rétablir et se maintenir que si le gouvernement, qui a su chstinguer les revendications excessives et violentes des aspirations raisonnables et légitimes, après avoir réprimé les premières dans leurs excès, donne aux secondes les satisfactions qu’on attend de son intelligence et de sa générosité.

Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
F. Brunetière.