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obligé de rechercher le général d’Erlon qui s’était rendu, devançant son corps d’armée, vers Quatre-Bras. De là une forte perte de temps, qui empêcha l’officier de renseigner l’Empereur sur la nature de la colonne, que Vandamme signalait sur ses derrières.

Lorsqu’il fit reconnaître la colonne douteuse, l’Empereur ne lui fit porter aucun ordre pour rectifier sa direction, dans le cas où c’eût été le corps d’Erlon. Dès qu’il fut fixé sur la nature de cette colonne, il donna ses dernières instructions pour l’attaque décisive de Ligny, sans s’occuper de d’Erlon. A-t-il su que ce général avait fait demi-tour et s’éloignait ? N’a-t-il pas voulu lui faire rebrousser chemin, en pensant qu’il n’aurait plus le temps d’intervenir ? Dans tous les cas, Napoléon a dû se dire que d’Erlon devait avoir des raisons bien graves pour ne pas lui obéir complètement, alors qu’il avait commencé à exécuter son ordre.

L’intervention du corps d’Erlon n’eut pas lieu. « S’il s’était conformé aux intentions de l’Empereur, ajoute Lettow[1], c’en était fait des Ier et IIe corps prussiens. Il est difficile d’admettre, avec Clausewitz, qu’ils auraient pu se soustraire à temps à ce mouvement enveloppant. D’après le colonel Stoffel, Moltke aurait déclaré que la poussée des 20 000 hommes de d’Erlon aurait été accablante pour Blücher…

« La responsabilité de l’inutilité de ces mouvemens incombe surtout à d’Erlon lui-même[2] ; car lorsque Ney le rappela, il aurait dû reconnaître qu’il ne pouvait plus le rejoindre à temps à Quatre-Bras, tandis que la proximité des troupes prussiennes lui permettait d’intervenir efficacement contre elles conformément aux ordres de l’Empereur… Si Napoléon[3] avait commencé par donner à Ney lui-même les ordres relatifs à d’Erlon, et si en même temps il avait dégagé ce maréchal de l’obligation de repousser l’ennemi qu’il avait devant lui, il est probable que Ney aurait obéi…

« D’après le colonel Stoffel[4], Napoléon aurait craint, au contraire, qu’après avoir été prévenu du départ du corps d’Erlon Ney ne se crût autorisé à rester sur la défensive devant Quatre-Bras,

  1. Napoleons Untergang, p. 331.
  2. Ibid., p. 357.
  3. Ibid., p. 358.
  4. Ibid., p. 358, en note.