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pauvre homme ; et l’auteur d’un remarquable ouvrage anglais sur Fra Angelico, tout en appréciant le plus intelligemment du monde le mérite artistique de cette prédelle, n’éprouve aucun embarras à l’intituler : Prédication et Vision de saint Nicolas ! Du moins s’agit-il effectivement, ici, de saint Nicolas, dont Fra Angelico, suivant l’usage universel de ses contemporains, a reproduit l’histoire, ligne pour ligne, telle qu’elle était racontée dans la Légende dorée ; mais l’ouvrage de MM. Ludwiget Molmenti suffit à nous prouver, par maints exemples que nous y trouvons signalés, avec quelle aisance les critiques allemands et anglais se trompent, couramment, sur les noms, et jusque sur le sexe, des saints. Erreur insignifiante ! dira-t-on. Elle le serait, peut-être, si vraiment les peintres anciens avaient travaillé pour les critiques d’art de l’avenir, et non pas pour les âmes chrétiennes de leur temps ; elle le serait si, faute de connaître les sujets qu’ils ont peints, nous n’étions pas empêchés de comprendre l’émotion qu’ils ont voulu traduire, et qui, certes, pour eux, importait plus encore que l’écartement des oreilles ou la longueur des doigts.

En tout cas, c’est une erreur que les nouveaux biographes de Carpaccio ont scrupuleusement évitée. Avec une conscience et une pénétration admirables, non seulement ils ont reconstitué les sujets de tous les tableaux qu’ils avaient l’occasion d’étudier ; ils se sont aussi, ingéniés à définir la signification exacte des moindres gestes des personnages, héros ou comparses, des moindres élémens de leur costume, des moindres particularités du décor qui les environne. Nous devinons qu’ils se sont proposé, autant que possible, de nous faire assister à tout le travail du maître, depuis le choix de son sujet et la détermination de son plan jusqu’aux dernières touches de la mise au point : infatigables à confronter, avec les tableaux, tous les documens de même date qu’ils pouvaient découvrir, dessins et gravures, livres, papiers d’archives. Et ainsi ils sont parvenus à nous offrir une biographie artistique d’un genre tout nouveau ; et si complète, si fidèle, si profondément intéressante aussi bien pour l’étude de la vie vénitienne que pour celle de la vie et du génie de Carpaccio, que je ne crois pas, en vérité, que jamais l’œuvre d’un grand peintre ait été interrogée avec plus de fruit.


Mais avant d’essayer, à mon tour, un rapide croquis de la figure de Carpaccio, telle qu’elle ressort des pages de ce livre, il faut que je dise quelques mots des auteurs du livre, ou plutôt de l’un d’eux : car l’autre, le sénateur Pompeo Molmenti, n’a plus besoin d’être présenté