Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je ne sais quelle poésie virginale à l’embarras du pauvret entre ses deux belles visiteuses. Rien de plus joliment rendu que sa première rencontre avec elles, que leurs avances et son émoi.

Il nous plaît enfin que sur une étoffe aussi légère, la musique ait piqué deux notes un peu vives et comme deux touches d’un lyrisme discret.

Nous songeons d’abord au refrain de la légende de la coupe :


C’est la coupe enchantée
Qui, dans les noirs séjours.
Par Vulcain fut forgée
Pour boire à ses amours.


Sur ces quatre petits vers, ainsi qu’une guirlande au flanc de la coupe elle-même, le musicien a jeté une mélodie élégante et robuste, qui tourne largement et tombe avec fermeté. Dans son galbe et dans sa chute, dans son ampleur et sa volontaire emphase, dans la richesse des modulations et la ferveur de l’orchestre, on goûte un savoureux mélange d’ironie et de sincérité, de parodie et presque d’enthousiasme. Elle raille les dieux, cette chanson, mais elle les célèbre aussi. Demi-bachique et, — permettez-nous le jeu de mots, — offenbachique à demi, elle est traversée par un éclat de rire et par un éclair de beauté.

Un autre passage, d’un goût très différent, n’est pas d’un goût moins pur. Nous voulons parler de la scène où certain mari paysan, quand on lui passe la coupe, refuse d’y porter les lèvres ou seulement la main. Rien que dans son refus, comme dans le refrain de tout à l’heure, mille nuances fines se croisent : la’ bonhomie narquoise et la naïve tendresse, une ferme assurance, et pourtant une alarme légère, le scrupule enfin d’une foi conjugale qui, sans redouter de rien apprendre, n’ose tout de même rien demander.

Voilà tout ce que la musique dit et chante. Elle n’a besoin, pour y réussir, que d’un mouvement ralenti, d’une ou deux modulations qui s’enchaînent, de quelques notes pensives avec mélancolie, enfin, sur les accords les mieux suivis, d’une échappée lumineuse de la mélodie vers les hauteurs de la voix.

Un « moment musical, » ainsi pourrait s’appeler le charmant badinage de M. Pierné. « Je ne suis pas de ceux qui disent : ce n’est rien. » C’est peu de chose, sans doute ; mais, dans le temps où nous sommes, c’est quelque chose’ de rare et de précieux.


CAMILLE BELLAIGUE.