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qu’il faut entendre M, Widor et l’admirer. Mais il a peu le tempérament du théâtre, et d’autres sont mieux faits que lui pour tracer des caractères lyriques et les creuser, pour animer des personnages humains et les faire vivre par les sons.

Sans compter qu’en cette partition, le détail et l’accessoire empiète un peu trop sur le principal et le dedans. Un ballet (et le plus vulgaire) ; des refrains (les moins originaux) de marins et de buveurs ; le baptême d’une barque, avec des chants d’église (liturgiques naturellement, puisque nous sommes au théâtre) ; tout cela forme une collection d’épisodes ou de hors-d’œuvre qui n’ont rien de très rare. Il n’est pas jusqu’à la tempête qui ne tienne trop de place et ne fasse trop de bruit. En trois ou quatre années, après l’Ouragan de M. Bruneau et l’Etranger de M. d’Indy (j’énumère, je ne compare pas), voici le troisième opéra à tempête. Or la tempête nous paraît décidément l’un des phénomènes de la nature dont les compositeurs devraient se défier le plus. Elle leur donne tant de peine et nous fait si peu de plaisir ! Le sujet est difficile entre tous et conduit aisément au simple tintamarre, ou au tintamarre compliqué. Rappelez-vous que Beethoven lui-même, ayant voulu figurer un orage, ne l’a pas choisi maritime, mais terrestre seulement, ou terrien. Nos musiciens veulent davantage, et ce n’est pas trop pour eux de tous les élémens. Qui donc a rapporté que M. Widor, le jour où, sur la falaise, il écoutait la mer en fureur, se plaignit qu’un fâcheux lui eût fait perdre un effet de quatrième corde de contrebasse ? En vérité, dans le fracas général, on ne s’en est guère aperçu. Mais on s’est étonné que le compositeur eût doublé, pour ainsi dire, ou bissé sa bourrasque, et que, devant lui consacrer tout le dernier acte de son œuvre, il en eût fait le sujet de l’ouverture aussi. Une tempête, passe encore ; c’est trop de deux, ou de la même deux fois, et le premier effet escompte le second, si même, par avance, il ne le détruit.

Savez-vous qu’il est peut-être plus facile aux musiciens d’aujourd’hui de faire mugir, hurler les choses, que de faire parler les gens ? Dans la partition de M. Widor, la déclamation manque parfois de justesse. Il arrive que la voix non seulement n’exprime pas la parole, mais qu’elle la contredise. Le thème d’amour, — un des principaux motifs de la partition, — commence par chanter en ces termes, plutôt contraires à la tendresse du chant : « Quand, la nuit, l’orage sombre gronde et couvre de son ombre, sous les vagues écumantes, la grève qui gémit. » Ailleurs nous avons remarqué ce propos : « Il descend l’escalier, » noté sur un intervalle qui monte. Ce n’est qu’un détail