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Miarka, non sans avoir mis le feu à la maison qui leur avait été longtemps hospitalière. Et maintenant, par les monts et les plaines elles vont, croyant, à chaque détour de la route, voir paraître leurs frères, comme elles errans. Après une longue étape, voici le soir. Le corps, mais le corps seulement, brisé par la fatigue et l’âge, la vieille Romani s’est laissée tomber sur le talus du chemin. Tout à coup des refrains familiers se font entendre. Les Bohémiens descendent la côte ; leur jeune roi les conduit. Ils approchent, ils s’arrêtent, et le reste se devine. On s’explique, on se reconnaît ; Miarka ceint la double couronne de reine et de fiancée et l’aïeule peut bénir, avant de mourir de joie, l’enfant qu’elle a rendue à son libre destin.

La partition de Miarka consiste moins, on le sait, dans un drame ou dans une action musicale, que dans un certain nombre de chansons préexistantes et que le drame eut pour raison, ou pour prétexte unique, de réunir et d’encadrer. Comme il arrive qu’on fasse d’un roman une pièce, on a fait cette partition de quelques romances, ou plutôt autour d’elles. Elles n’y ont ni perdu, ni gagné. Leur mérite reste le même et ce mérite est moyen. Le lyrisme de M. Alexandre Georges appartient au genre tempéré, souvent plus bourgeois que bohème. Musique de salon plutôt que de grand’route, il semble que cette musique préfère la correction et la tenue au caprice, à la fantaisie et à la liberté.

La liberté ! Si vous y ajoutez le mystère et l’amour de la nature, vous aurez, en peu de mots, résumé l’éthos du génie et de l’art bohémien. Liszt, en son livre fameux, a défilé la musique de l’exprimer. Quelquefois pourtant elle l’a su rendre. Avant tout autre exemple, une chanson de Liszt lui-même, Die drei Zigeuner, en témoignerait. Le texte, du poète Lenau, dit ceci : « Je rencontrai un jour trois Bohémiens couchés au bord d’une haie, alors qu’avec une peine extrême, mon chariot traçait son ornière à travers une plaine sablonneuse.

« L’un d’eux tenait dans sa main un violon, sur lequel il se jouait à lui-même un air flamboyant, entouré de la pourpre auréole du couchant.

« L’autre tenait nonchalamment une pipe dans sa bouche et ses yeux suivaient les contours de la fumée ; insouciant, comme si le globe entier n’avait plus rien à ajouter à son bonheur.

« Le troisième dormait profondément ; sa cymbale pendait aux branches, sur les cordes passaient les souffles du vent, sur son cœur flottait un rêve.