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chef-d’œuvre où l’Allemagne, — l’Allemagne d’alors, — s’entendit et se reconnut tout entière.

Ce chef-d’œuvre, en quatre-vingts ans, n’a pas changé. Mais, hélas 1 comme on nous le change ! Excusez-nous si, dans ces quelques lignes, nous avons parlé pour ainsi dire autour du Freischütz. Du Freischütz même, il n’est rien que vous ne sachiez, et, quant à la dernière reprise que notre Opéra vient d’en faire, mieux vaut que vous n’en sachiez rien.


Vous saurez peu de chose aussi, du moins par nous, de la Ronde des Saisons, jouée et dansée après le Freischütz.


Segnius irritant animas demissa per aurem,
Quam quæ sunt oculis subjecta...


Cela n’est pas toujours vrai. Les choses du théâtre surtout parlent plus clairement à l’esprit par les oreilles que par les yeux. Un opéra, même obscur, se comprend mieux qu’un ballet. Plutôt que le poète latin, nous pouvons en croire un historien de la danse[1] quand il avoue, en parlant de la « danse de caractère, » que « le caractère, (c’est-à-dire l’action ou le sentiment) se dégage mal de la plastique. » A l’Opéra, la plupart du temps, il ne s’en dégage pas du tout.

On a vu cette fois, — ou revu, — le prince accoutumé, follement épris d’une lutine, Oriel. Aidé par trois fleurs magiques, don de l’inévitable sorcière, il la poursuite travers les enchantemens successifs et trompeurs du Printemps, de l’Été, de l’Automne. Il la saisit enfin. Mais une dernière fleur, imprudemment jetée, évoque la dernière saison, et les amoureux, — transis, — meurent, aux bras l’un de l’autre, sous les blancs flocons de l’Hiver.

« Pourtant il y avait quelque chose là, » quelque grâce peut-être et-quelque poésie. Il appartenait à la chorégraphie de les dégager l’une et l’autre, de les rendre visibles et, par la beauté, la justesse des attitudes et des gestes, des poses et des mouvemens, de les fixer et de les animer tour à tour. Mais c’est le défaut et la misère de l’art chorégraphique aujourd’hui, qu’il sait mal réaliser, par les moyens qui lui sont propres, l’idée ou le sujet du plus modeste scénario. De l’ordre de l’imagination à l’ordre plastique on dirait que le passage est devenu impossible. La traduction par la pantomime et la danse est, plus que toute autre, trahison. Ce n’est pas tout : banale autant qu’infidèle, la

  1. M. du Mesnil, Histoire de la Danse.