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que la moindre faute de goût pouvait tout gâter : il a fait preuve d’une sûreté et d’une délicatesse de tact qui ont décuplé l’effet de son jeu. La pièce lui doit beaucoup.

Mme Bartet a été digne d’elle-même dans toute la partie de comédie du rôle de Thérèse ; et encore faut-il lui savoir gré de l’effort qu’elle fait pour supporter la partie du rôle qui est si en dehors de ses moyens : il est trop clair que les effets violens du second acte sont en parfaite contradiction avec le talent sobre et mesuré de l’exquise comédienne.

M. Paul Mounet dessine une excellente silhouette de bravo, à réjouir Dumas père. M. Lebargy est nerveux, inquiet, neurasthénique à souhait dans le rôle du prince Jean. M. Mayer a bien de la peine à sauver le rôle gêné et ingrat du mari ; mais il y arrive et c’est à son grand honneur. Mme Pierson est parfaite de mesure et de justesse. Et une ingénue, Mlle Bergé, a fait un début plein de promesses.


La comédie moderne s’occupe beaucoup de la jeunesse des hommes qui ne sont plus jeunes. C’est le sujet auquel M. Jules Lemaitre était revenu dans la Massière, après l’avoir déjà étudié dans l’Age difficile. Et c’est celui dont M. André Picard a fait une comédie prodigieusement inégale, ou, pour mieux dire, un acte de fine comédie presque excellent et deux actes de drame larmoyant tout à fait insipides. La facilité du dialogue, la bonne humeur, la grâce d’une ironie flottante nous avaient ravis dans l’acte d’exposition de Jeunesse. Voici Roger Dautran qui, de député, vient de passer sénateur, c’est-à-dire père conscrit et par conséquent père noble. Or il ne consent pas à vieillir. Il est de ceux qui ne veulent pas avoir leur âge. Il nous explique avec une délicieuse ingénuité sa philosophie d’égoïste et de viveur : ce n’est pas un méchant homme et c’est même à sa manière un bon mari ; tant qu’il a pu vaquer allègrement à ses plaisirs et passer de la maîtresse d’hier à celle de demain, il a été un époux attentionné et un homme d’intérieur ; mais il vieillit, les femmes sont moins empressées auprès de lui, aucune maîtresse ne l’attend : du coup, son foyer lui devient insupportable. Comment l’y retenir, se demande sa femme éplorée ? Comment ramener à elle ce mari volage ? Le moyen le plus absurde sera celui auquel elle ira tout droit. Depuis quelque temps ses yeux s’affaiblissant, peut-être parce qu’ils ont beaucoup pleuré, elle cherche une lectrice. Justement se présente une toute jeune fille, aux airs de gavroche. Mauricette, fille d’artiste, qui a grandi dans un milieu de bohème et traîné dans les ateliers, a tout l’air de ce qu’elle est : une