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dont on l’accuse ? Que pense de lui M. Paul Hervieu ? Et que pense-t-il du prince Jean ? Avait-il prévu l’impression presque pénible que nous cause la débilité de ce prince pusillanime ? On lui parle de son nom, de sa race, des traditions et des principes qui s’incarnent maintenant en lui, des espérances d’un peuple, des sacrifices qu’un tas de braves gens ont acceptés pour l’aider à reprendre son rang, du bien qu’il peut faire, et enfin de l’énorme responsabilité dont le voici chargé. Lui, il ne veut rien savoir, sinon qu’il y a, dans une maison où il est reçu en ami, une matrone dont il escompte la chute. Rien de plus pitoyable que l’argumentation où ce malheureux, tout en accumulant les sophismes, nous laisse si bien deviner l’unique intérêt dont il soit touché et qui est celui de son plaisir. Nous en venons à concevoir une espèce de sympathie pour son ogre de père. Et sa pleutrerie fait ressortir tout ce qu’il y a quand même de noble dans la conception intransigeante de l’attachement aux traditions du passé et aux devoirs d’une fonction héréditaire. Le mari, la fille, la belle-mère de Mme de Mégée, sont pareillement sans caractère.. Encore une fois, il en doit être ainsi dans ces sortes de pièces : on n’a que faire d’introduire l’analyse des sentimens et des passions dans des situations par elles-mêmes si pathétiques. Et c’est une condition même du genre que les êtres humains y soient réduits au rôle d’instrumens dont joue à son gré le hasard.

Est-il besoin de dire après cela que le Réveil est une pièce des plus intéressantes, et qui pourra figurer en bonne place dans le théâtre de M. Paul Hervieu ? Nous y retrouvons d’abord cette belle conscience littéraire qui fait que M. Hervieu ne s’arrête pas à mi-chemin, mais poursuit au contraire, avec une logique impitoyable et ennemie des concessions, un principe d’art. Quand on voudra faire comprendre par un exemple ce qu’est le pathétique de situation, et l’opposer au pathétique de sentimens, on n’aura qu’à citer le Réveil et à l’opposer à la Course du Flambeau. — Nous y reconnaissons ensuite cette conception de la vie qui fait l’unité intérieure de l’œuvre de M. Hervieu, une conception dure, amère, atroce et pareille à un effroyable cauchemar. Une fois de plus, M. Hervieu s’est mis en devoir de dissiper ces mirages dont nous aimons à nous enchanter, pour ne nous plus laisser apercevoir que la réalité désolante. Nous soupirons après l’amour et nous en attendons toute sorte de félicités ; elle aussi, Thérèse de Mégée, après avoir résisté longtemps aux tentations, au troublant murmure qui s’élève sur les pas de toute femme désirable, se résout à répondre à l’appel de l’amour : elle conservera de cette expérience