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précisément parce qu’il est teinté d’exotisme ? Nous sommes, pour notre part, un peu surpris de voir ces Mégée, qui semblent des gens de mœurs très paisibles, très bourgeoises et presque provinciales, en relations si intimes avec des rois caucasiques et des princes demi-barbares. Ces disparates dans les fréquentations sont toujours dangereuses. Au surplus, la suite nous montrera combien il a failli coûter à ces braves gens d’être en relations avec des personnes si haut placées et qui ont des manières d’agir si particulières.

Le second acte nous jette en plein drame violent, sombre, ténébreux et machiné à la manière romantique. Il se passe dans la petite maison de Passy, et cette maison nous a tout de suite fait songer à celle du quatrième acte de Ruy Blas. Admirez l’imprudence du prince Jean ! La maison où il a donné rendez-vous à Thérèse ne lui appartient pas : elle appartient à son père. Il sait vaguement que son père en use pour ses conspirations, lorsqu’il est de passage à Paris ; or ce père vient d’arriver, et il achève d’organiser le soulèvement qui doit éclater là-bas dans quelques jours. S’il y a une maison dans Paris dont Jean doive se méfier, c’est celle-là. C’est pourtant celle où il a convié Thérèse, afin qu’ils soient plus tranquilles ! Bien entendu, à peine la toile s’est-elle levée, la première personne que nous voyons entrer dans la maison mystérieuse, ce n’est pas le prince Jean, c’est son père. Celui-ci, en apercevant les fleurs disposées dans les vases, et flairant partout un certain air galant, devine qu’on va faire de son nid à complots un nid d’amour. Jean s’y rencontrera avec Thérèse. Il faut qu’un rugissement du vieux lion éclate soudain à travers les roucoulemens des tourtereaux. Le vieux roi trouve tout de suite dans son imagination de despote barbare, à moins que ce ne soit dans ses souvenirs de lectures romanesques, le plan machiavélique et brutal qui convient aux circonstances. C’est à la brève exécution de ce plan que nous allons assister, dans une espèce de halètement d’angoisse et d’horreur. Jean, Thérèse, arrivent à leur tour. Ils croient venir à un rendez-vous : ils tombent dans un guet-apens. À peine les premières paroles soupirées, du bruit, qu’ils entendent dans cette maison du silence, les inquiète. Jean ouvre la porte qui communique avec la pièce voisine : aussitôt cette porte se referme, et un vacarme de lutte parvient aux oreilles de Thérèse. On assassine Jean ! elle veut aller à son secours, elle appelle, elle crie, elle se jette contre la porte, et, ne pouvant l’enfoncer, s’y effondre. Quand le bruit cesse, quand la porte se rouvre, un certain Siméon Keff, sorte de bravo au service du vieux roi, annonce à Thérèse qu’on lui a