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Au moins, toi, fils difforme et rustique des dieux,
Tu conserves encor, Satyre au poil boueux,
La trace d’avoir bu à genoux dans la vase
De la source tarie, et ta face où s’écrase
Ton nez camus, encor, garde un reflet vermeil
D’avoir mordu la grappe et dormi au soleil.
Et toi seul, maintenant, connais peut-être encore
Le mystère oublié de l’aube et de l’aurore !
Et c’est pourquoi je viens à toi, humble témoin
De tout ce que l’on a quitté pour d’autres soins.
Toi dont les doigts salis, pourtant, savent peut-être
Guider le souffle long et grave qui pénètre
Au fond du creux roseau de la flûte et en sort
Harmonieuse gamme où le son prend l’essor ;
Et c’est pourquoi, malgré que ta peau soit velue.
Malgré ton pied de bouc et ta tête cornue,
Le glorieux cheval dont le vol est divin.
Présentant doucement sa crinière à ta main,
Pliant son fier jarret et courbant l’encolure,
A toi, dernier chanteur dont la bouche est impure.
En ce matin d’avril encor tout étoilé,
Pégase, qui hennit, offre son dos ailé ! »


LUNE


Un jour je serai las de vous, ô l’une rose,
Lumineuse déjà en un ciel encor clair.
Et qui, lente, sereine et mollement éclose,
Montez à l’horizon au-dessus de la mer.

Je serai las de vous et las de votre face
Dont le profil aigu qui s’incurve en croissant,
S’arrondit pour former au milieu de l’espace
Votre visage d’or, de cristal ou d’argent.

Je serai las de vous et baisserai la tête
Vers ce sable qui cède aujourd’hui sous mes pas,
En songeant que demain sur sa grève parfaite
Mon empreinte sans but ne se marquera pas.