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à la concurrence américaine ? Et, d’ailleurs, notre syndicat laisse en dehors de lui trois ou quatre établissemens.

— Vidons le sac pendant que nous y sommes : les soudiers vous reprochent encore, moins vos bas prix, que les réductions que vous faites subir aux prix établis. Est-il vrai que, de 400 francs les 1 000 kilogrammes, ces prix tombent quelquefois à 50, même à 30 francs ?

— Eh ! les soudiers n’ont que ce qu’ils méritent ! Quand on apporte à l’usine des pains de soude, il faut bien en faire le titrage scientifique. Autrement, nous serions volés. Les soudiers ne tiennent aucun compte de nos avis et mêlent indifféremment dans leurs fours toutes les espèces de goémons. Il s’ensuit que leurs pains sont plus ou moins riches en iode et en sels de potasse. Nous payons en conséquence, d’après le cours… Ils se plaignent, dites-vous ? Ils se plaindront bien davantage, quand nous ne serons plus là. Car, il faut bien l’avouer, monsieur, notre profession n’est plus qu’un anachronisme, une forme archaïque et surannée d’industrie appelée à disparaître tôt ou tard. Nous sommes à la merci des Américains : on ne consomme pas de l’iode comme du pain. Tant que le trust limitera volontairement sa production, nous tiendrons ; quand il ne la limitera plus, nous plierons bagage. Il y a comme une fatalité sur toutes les industries bretonnes. Elles agonisent l’une après l’autre, et nous éprouvons le sort qu’ont connu avant nous l’industrie textile et l’industrie minière et qui menace en ce moment même l’industrie des grandes pêches : le temps de la Bretagne industrielle est passé…

Mais peut-être que le temps de la Bretagne agricole est venu.

Du moins le goémon perdu pour l’usine ne l’est-il pas pour la terre : il peut, il doit devenir ici, comme à Plougastel, à Roscoff et à Pleubian, comme en Saintonge, à Noirmoutier et dans la baie de Bourgneuf, l’élément régénérateur du sol, son grand agent de transformation économique. C’était l’opinion du savant Baudrillart et c’est encore l’opinion d’un agronome distingué, M. Charles Fasquelle, ancien professeur d’agriculture de l’Yonne, qui reconnaît au goémon les qualités d’un excellent engrais[1]. Les légendaires bretons eux-mêmes, en qui Renan

  1. Cf. Bréhat agricole {Journal d’Agriculture, mai 1900). M. Fasquelle a analysé ce goémon et y a trouvé les élémens qui suivent : matière organique hydro-