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— Portez vos pains ailleurs, en ce cas.

— Il ne servirait de rien. Toutes les usines de la région sont syndiquées et l’on ne prend pas à Portsal les pains refusés à l’Aber…

Qu’y a-t-il de justifié dans ces doléances ? J’en ai voulu avoir le cœur net et me suis rendu chez divers usiniers de la région. Mais ces messieurs ne sont pas toujours d’un abord facile. À l’A…, par exemple, et bien qu’un ami m’ait servi de caution, je me suis heurté à une consigne sévère :

— Tous nos regrets, cher monsieur. Les étrangers ne sont pas admis à visiter l’usine.

Nous ne sommes pourtant plus au temps, déjà lointain (1811), où Courtois signalait pour la première fois la présence de l’iode dans les résidus des cendres de varech, et le traitement de la soude n’est aujourd’hui un secret pour personne. Aussi bien ai-je pu me convaincre, en visitant des usines moins ombrageuses, qu’il fallait chercher ailleurs la raison du mystère dont s’entourent certains fabricans : l’industrie française, guettée par les entrepreneurs de grève, suspecte aux représentans de l’autorité, se tient un peu partout sur la défensive, multiplie les précautions et ne souhaite rien tant que de passer inaperçue. Dans la branche qui nous occupe, par exemple, un observateur superficiel ou malintentionné pourrait tirer argument de la faiblesse des salaires ouvriers et n’oublierait que l’incertitude et la précarité du marché économique. Déjà, par l’effet de la concurrence péruvienne, chilienne, norvégienne, allemande, et même japonaise, le prix de l’iode, qui avait atteint 150 francs le kilogramme, est descendu à 25 francs. Mais il eût suffi, pour ouvrir la crise, des seuls nitrates bruts du Pérou et du Chili.

— Songez qu’ils contiennent assez d’iode pour approvisionner pendant cinquante ans le monde entier ! me disait M. L…, maire et usinier du C… C’est en 1873 qu’on les découvrit, mais leur entrée en scène ne date réellement que de 1880 : le krach fut immédiat. L’avilissement du prix de l’iode, qui tomba brusquement à 14 francs, faillit ruiner toutes les usines de France et d’Angleterre. De fait, beaucoup sombrèrent. Des dix-huit usines que comptait la France à cette époque, il n’en reste plus que neuf, dont cinq, les plus importantes, dans le Finistère. Cette guerre sans merci dura jusqu’en 1885. Pour peu qu’elle se fût prolongée, il en eût été de l’iode comme du brome, que nos pré-