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colorations riches encore, malgré la teinte sombre qui commence à les envahir, puis le place en suspension sur le foyer de manière qu’il déborde des deux côtés de 50 centimètres environ. Une fumée âcre, épaisse, tirant sur l’orange, s’échappe de la fosse : le goémon, que l’homme rabat à mesure, s’enfle comme une voûte au-dessus de la coulée incandescente ; l’air circule, fait courant ; sous l’action du calorique, les cendres se liquéfient et s’agglutinent ; mais un malaxage spécial est nécessaire pour leur donner l’homogénéité requise. Je demande à Rouzic s’il compte procéder bientôt à cette dernière opération.

— Oh ! me dit-il, pas avant deux ou trois heures. Il faut d’abord que tout mon goémon soit consumé… Mais vous n’avez qu’à faire quelques pas sur la dune : ce serait bien extraordinaire si, à moins d’une portée de sifflet d’ici, vous ne trouviez pas ce que vous désirez.

Je suis le conseil du brave homme et, en effet, sur une dune voisine, je découvre un autre groupe de soudiers dont la récolte est complètement incinérée. Bateaux et civières ont fini leur tâche et c’est maintenant le tour des piffons ou ringards, grosses barres de fer dont on travaille vigoureusement la cendre en fusion. Quelques minutes de malaxage, et la bouillie de soude, au bout de ce temps, a pris assez de consistance pour qu’on puisse lui donner la forme réglementaire ; on l’étalé soigneusement dans son moule ; on la tasse et on l’égalise au moyen d’une palette en bois et on la laisse refroidir toute la nuit. Le lendemain on la sort de son moule, convertie en blocs noirs rectangulaires, durs comme ciment, qu’on pose de champ sur la dune autour d’un mât de charge ou d’une gaffe à faucille. Quand le goémon est bien sec et le vent favorable, on peut faire ainsi jusqu’à 1 000 kilos de soude par jour.

— Soit 100 francs par fournée, dis-je à l’homme qui vient de me donner ces renseignemens.

— 100 francs ! riposte ironiquement l’homme… Oui, c’est le prix du cours, le prix qu’on est censé nous payer les 4 000 kilogrammes. Seulement, quand on apporte à l’usine un chargement de pains de soude, l’usinier commence par y prélever un échantillon pour le soumettre à l’analyse et, je ne sais comment cela se fait, mais l’échantillon est toujours reconnu défectueux, ce qui permet de ne plus nous payer la fournée que 50 francs, 30 francs même quelquefois.