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proches, de Plonguerneau, de la baie des Anges, de Cézon, d’autres bateaux prenaient le large, goémoniers pour la plupart comme le nôtre, reconnaissables à leur gabarit rudimentaire. Au total, il y avait bien céans près de deux cent cinquante de ces frustes embarcations, marcheuses fort médiocres de surcroît, mais très propres, par leur coque plate et l’évasement de leurs bordages, à naviguer entre les roches et à porter de gros fardeaux. Les goémoniers de l’Aber se hasardent rarement en pleine mer, d’ailleurs, même pour mouiller leurs casiers à homards et à langoustes, quand chôme la pêche du goémon… Je les vois déjà autour de Stagadou qui, dans les chenaux, les étroits couloirs de l’archipel, se livrent à leur occupation favorite. Ils sont en partie rassemblés autour de l’Île-Vierge et, de la terrasse du phare, je puis suivre encore à l’œil nu leurs manœuvres peu compliquées : les voiles sont abattues près d’une « basse ; » un des hommes, couché à l’avant, promène sur la basse sa longue gaffe armée d’une faucille. D’un coup sec, la faucille tranche le goémon de fond, laminaires ou himanthalies[1], d’autant plus recherché qu’il donne une « bouillie » excellente. Ses stipes épais, gros souvent comme le poing, sont par bonheur assez mous. Le goémon fauché remonte aussitôt à la surface où des grappins le recueillent. Deux heures de marée, quand les hommes sont prestes et les fonds abondans, suffisent pour charger une barque. Au premier flot, on hisse la voile et on gouverne vers quelque grève voisine où l’équipage dispose d’un petit carré de dune qui lui appartient en propre ou qu’il loue aux fermiers du littoral contre une minime redevance annuelle. Déchargé par les femmes et les enfans à l’aide de grandes civières faites avec des tiges de fer recourbées, le goémon est étendu à plat sur la dune ; il y demeure quelques jours ; puis on l’emmeule, en tas de 1 000 kilogrammes, sur une assise de pierres sèches haute de 35 centimètres environ. Il y achève de s’essorer et, après deux ou trois mois, peut être facilement incinéré.

C’est qu’en effet, à la différence de ce qui se passe sur les autres côtes, le goémon finistérien, — sauf le goémon d’épave utilisé tel quel par les cultivateurs de l’intérieur, — n’est vendu qu’aux usiniers de la région et après avoir été transformé en pains de soude. Il n’est pas rare d’ailleurs que le goémonier soit

  1. D’où peut-être son nom indigène de talit. La laminaria phillitis et la laminaria digitata paraissent correspondre, d’autre part, au melkern des Bretons.