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autorise la récolte en tout temps, comme d’un amendement de troisième ordre et presque sans valeur. Grouillans de vermine, à demi enfouis sous la tangue et les galets, décomposés, malodorans, méconnaissables, ils ne sauraient rivaliser en tout cas avec ces beaux goémons de rive qui sont encore dans toute leur sève en février. Nulle flore au monde n’atteignit à la splendeur de celle-ci, n’offrit comme elle des végétaux entièrement d’or, de pourpre ou d’émeraude. Féerie inattendue, où les corallines, d’un blanc de neige, introduisent le contraste d’une végétation d’hiver, où les frondes énormes des « ribères » et des « flèches, » longues quelquefois de 30 mètres, alternent avec les minuscules capillaires de la naccaria Vigghii, fines et palpitantes comme des cils ! Houppes vertes des bryopsis et des cladophora, rondes lanières des himanthalies, grappes onctueuses du platycarpus, ce raisin des eaux, éventail violet du jargot, queues ocellées de la pavonia, stipes rigides, pareils à des hampes, de la laminaria Cloustoni, larges rubans tuyautés de la saccharine, petits disques argentés de l’acétabule, etc., etc., pour nos seules côtes de la Manche et de l’Atlantique, quelle diversité et quelle bigarrure ! Dès 1849, Kutzing, dans ses Tabulæ phycologicæ, n’avait pas nommé et classé moins de 4 407 variétés d’algues. Et il s’en faut bien, — on le pense assez, — que toutes ces variétés se soient donné rendez-vous autour du Talberg : encore est-il que, sur aucun point du littoral, les grèves, aux basses marées de vives eaux, ne découvrent une végétation marine plus luxuriante et plus multiforme. Et il est vrai que nulle part non plus les grèves n’assèchent aussi loin et pendant si longtemps. Cette double particularité et la situation privilégiée du Sillon, au confluent des deux principaux fleuves de la région trégorroise, expliquent que la récolte du goémon de rive attire chaque année sur les grèves du Talberg une énorme affluence de population. On y vient de Pleubian, de Lanmodez, de Kerbors, de Pommelin, de plus loin encore. Les annalistes locaux (Habasque, Jollivet, etc.) ont souvent décrit cette récolte pittoresque, — ar berz, comme l’appellent les indigènes. Leurs descriptions ont un peu vieilli évidemment et manqueraient aujourd’hui d’exactitude. Les mœurs ont changé ; bien des usages ont disparu ; je ne vois point, par exemple, qu’on ait maintenu la touchante coutume du deiz ar beourien par laquelle le premier jour de la coupe était réservé aux nécessiteux de chaque paroisse. La civilisation, sous la forme du chemin de