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dater du 28 janvier 1890, les propriétaires non domiciliés admis à la récolte du goémon durent justifier de la possession d’une étendue de terres cultivées d’au moins 15 ares et exploitées par eux ; ceux de ces propriétaires qui ne se trouvaient pas dans les conditions requises par la loi ne furent plus admis au bénéfice de cette récolte qu’à titre viager.

Par le nombre et la minutie de ces dispositions législatives, comme aussi par la jalouse sollicitude des intéressés et leur constance séculaire à ne point laisser prescrire les droits qu’ils tiennent de l’usage, on peut prendre une idée de l’importance que présente la récolte du goémon pour nos populations maritimes. C’est de février à mars qu’a lieu généralement cette récolte, dont on n’évalue pas le produit total, pour le seul goémon de rive, à moins de 5 millions de francs. Dès que la date de l’ouverture en est connue, tout le monde s’apprête dans la commune. Hommes, femmes, enfans, c’est une mobilisation universelle, dont le spectacle ne manque nulle part d’intérêt, mais qui revêt plus particulièrement sur le Sillon de Talberg, à l’extrémité de l’« armor » de Pleubian, un caractère de savoureuse étrangeté.

Le Sillon de Talberg est une mince et sinueuse chaussée de cinq kilomètres de long, qui déroule ses anneaux entre l’embouchure du Trieux et l’embouchure du Jaudy. La mer le bat à gauche, à droite, le franchit de ses embruns et quelquefois même de ses vagues : un solide colmatage de fucus et de tangue maintient en tout temps le Sillon à 5 ou 6 mètres au-dessus du plein. Aussi bien la fonction de la mer, ici, semble-t-elle plutôt de protéger que de détruire. C’est la mer qui fournit et pétrit ce mortier résistant que le râteau des pauvres a beau racler matin et soir pour en composer ces énormes meules de goémon d’épave rangées en file parallèle sur la crête du Sillon et dont la vente, il y a peu de temps encore, était l’objet d’une grande foire annuelle : le flot, aux deux côtés de la chaussée, en une marée refait ce que le râteau a défait ; on calcule qu’il jette bon an mal an sur les banquettes de ce grand talus maritime plusieurs millions de kilogrammes de fucus, de laminaires et de zostères arrachés par les sourdes convulsions des profondeurs. Et, sans doute, à rouler de vague en vague, à séjourner quelquefois des années entières dans les failles des vallées sous-marines, ces goémons d’épave ont bien perdu de leur tonicité. La législation les néglige, en