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social, des attitudes et des paroles du personnage comique. Les animaux, qui n’ont point de société, n’ont pas de rire. Le rire est toujours légèrement immoral, en ce qu’il est anti-social par son origine. Les représentans des tendances spécifiquement éthiques dans l’humanité, le stoïcien, le janséniste, le puritain s’en abstiennent, et la réminiscence sociale, la comparaison avec l’humanité est probablement au fond de l’hilarité suscitée par les animaux, les plantes, et les choses inanimées[1]. Le rire naît donc toutes les fois qu’une convention sociale est offensée publiquement par un individu, mais en matière légère, sans qu’un inconvénient quelconque en puisse résulter pour les assistans. Il convient en effet, pour égayer nos voisins, que nos velléités d’émancipation ne dépassent pas certaines limites ; qu’elles semblent provenir de l’incapacité plutôt que de la mauvaise volonté ou encore d’une sorte de convention anticonventionnelle, comme dans l’ironie. Sinon, la crainte s’éveille vite au cœur des humains gardés tant bien que mal en temps ordinaire contre la méfiance qu’ils s’inspirent réciproquement ‘par leurs innombrables concessions sociales, toutes consenties précisément en vue d’assurer la quiétude.

Or inquiéter l’interlocuteur, c’est une aventure qui arrive souvent à Stendhal. « Dominique a de l’esprit argent comptant, dit-il quelque part en se désignant par un de ses pseudonymes favoris, mais cet esprit fait peur aux convenances, et quand il est animé, il est si haut qu’il fait mal à la tête à son public. » Ou encore : « Ma réputation fut homme d’infiniment d’esprit, mais bien méchant, et encore plus immoral[2]. » Telle est à peu près la réputation de l’Octave d’Armance, première incarnation de l’auteur dans ses écrits, en attendant qu’il revête les personnalités de Julien, de Fabrice, et du docteur Sans-Fin. Quand Octave s’en va pour un instant dans les sociétés, il invente bientôt sur place « les mots les plus révoltans. » Aussi rien ne vient-il attaquer la « pureté de son diabolicisme[3]. »

Le diabolicisme, c’est bien l’attitude de choix où se complaît le créateur de cet incomplet personnage : et le satanisme romantique

  1. Ou même par un coucher de soleil manqué, comme le suggérait spirituellement M. Faguet dans une discussion des thèses si intéressantes de M. Bergson sur ce sujet.
  2. Vie de Henri Brulard, p. 188.
  3. Armance, p. 51.